Section de français de la Faculté des lettres
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Auteur
Ruesch, Xavier
Titre
Entre Histoire et fiction : Le vampirisme historique de Jacques Chessex
Directeur
Maggetti, Daniel
Résumé
À vocation interdisciplinaire, le présent mémoire s’intéresse à la manière pour le moins singulière dont l’écrivain Jacques Chessex s’y prend pour écrire l’Histoire, en se focalisant sur quatre de ses ouvrages : Le Rêve de Voltaire (1995), Le Vampire de Ropraz (2007), Un Juif pour l’exemple (2009) et Le Dernier Crâne de M. de Sade (2009).
Loin de pouvoir être perçu comme un historien, l’écrivain use, au sein des ouvrages étudiés, de procédés littéraires habiles et récurrents pour empreindre l’Histoire de toute sa subjectivité, l’intégrer à sa propre personne, à son univers et, plus généralement, à la mythologie qui sous-tend son œuvre depuis les années 1960. À chaque fois, les mécanismes qui sous-tendent ce processus de « vampirisation de l’Histoire » demeurent fondamentalement les mêmes. Chaque livre fait le récit d’événements qui se déroulent à des époques différentes, chacune expressément caractérisée : l'Europe des Lumières et celle de l’après Révolution, avec leurs différents courants de pensées et leurs grands hommes ; la Suisse rurale du début du XXe siècle, reculée, ignorante, violente et celle des années 1940, tiraillée entre différentes puissances européennes qui se font la guerre. En sélectionnant et en cristallisant autour de sordides épisodes historiques ce qui constitue, à ses yeux, l’ « essentiel » de ces époques et en y associant ses propres fantasmes, ses traumatismes et ses obsessions, Chessex intègre ces « morceaux attentivement choisis » à tout ce qui constitue son être. Loin d’être innocent, ce processus permet à l’auteur de dresser un portrait en synecdoque de ces différentes périodes – la partie choisie représentant le tout. En effet, loin de brosser de grandes fresques historiques, Chessex resserre toujours l’intrigue autour d’un épisode précis, où viennent se confondre grandes figures et personnages secondaires, moments glorieux ou terribles de l’Histoire et minutes insignifiantes, rêvées ou inventées. Ces récits sont très fortement ancrés dans un lieu. Le Jorat, tout comme la Broye et le plateau lémanique, participent d'un même univers : le Canton de Vaud. De cette unité de lieu découle une unité de pensée particulière : des traditions, des croyances typiquement « chessexiennes », qui imprègnent fortement les gens et influent sur leur manière d'agir. Ainsi, loin de dresser un portrait objectif du canton et de ses habitants, c'est avant tout à lui-même que Chessex revient ; c'est lui qu’il met en scène directement ou indirectement à travers ses personnages, sa vision subjective qu’il impose au lecteur, ses obsessions, ses culpabilités, ses Vaudois qu’il fait vivre. À travers l’Histoire, l'auteur postule donc une permanence de l’être, en même temps qu’avec une certaine ironie il se place, lui et son univers, en position stratégique : au centre de l’Europe, voire même du monde. Sous cet angle, le fait divers apparaît comme un « précipité » et/ou un « vecteur » lui permettant de condenser, de ramener et d’amalgamer des pans entiers de l’Histoire à une mythologie personnelle qui, paradoxalement, enfle et rayonne. De cette écriture oscillant constamment entre la « concentration » et l’« expansion » naissent alors des récits ambigus, dans lesquels l’Histoire rapportée, les sources, l’Histoire vécue, la perception subjective de l’écrivain et l’Histoire inventée ne cessent de s’entrecroiser et d’interagir, pour donner vie à une illusion de réalité particulièrement convaincante.
Loin d’être désorganisés, les divers mélanges, croisements et interactions que Chessex opère, au sein des ouvrages, entre l’Histoire, la perception subjective qu’il peut en avoir et la fiction à proprement parler, résultent de procédés habilement étudiés, qui sont destinés à amadouer le lecteur, à « mentir vrai » pour lui faire croire à la véracité de ce qui lui est raconté, tout en le privant des principaux moyens de contextualisation qui lui permettraient de pouvoir remettre en question la vision subjective et transposée de l’Histoire qu’on lui donne à voir. Or, contrairement à tout ce que la littérature critique a – jusqu’à aujourd’hui – proposé, seule une étude interdisciplinaire – du type de celle que nous présentons ici – concentrée sur la genèse des œuvres, en se basant sur l’étude et les recoupements opérables entre les sources – employées, ou non, par l’écrivain – et la réalité dont elles témoignent, peut permettre de démêler un tel réseau d’associations.
De fait, loin de découler d’un acte de production/création littéraire en soi, le processus de « vampirisation de l’Histoire » opéré par Chessex découle d’un méticuleux travail de recherche, qui a été opéré en amont de l’écriture, et duquel résultent un certain nombre de sources. Toutefois, même si, sur ce point précis, la démarche de Chessex se rapproche de celle d’un historien, l’usage qui est fait de ces documents est radicalement différent. En effet, loin d’employer ces traces dans le but d’étudier et de reconstituer un passé qui soit le plus fidèle possible à la réalité d’antan, l’auteur se sert de ces sources comme autant d’outils – ou de « figures d’autorité » – lui permettant de donner une meilleure illusion de réalité ; n’hésitant pas à les retoucher, à les transformer et parfois même à en inventer des parties entières pour rendre sa perception subjective de l’Histoire tout à fait vraisemblable. Une fois cette démarche accomplie, les documents historiques sont ensuite intégrés au cœur de la narration romanesque, au sein de laquelle ils servent de « fondement », d’ « assise » sur lesquels l’écrivain peut composer ses récits et y mêler sa subjectivité. Chessex peut alors, sur cette « base », créer des scènes qui ne se sont pas produites dans la réalité des affaires traitées, mais qui apparaissent d’une cohérence absolue avec la vision subjective de l’Histoire qu’il est parvenu à bâtir. De fait, en plaçant sur un même plan, en mélangeant et en faisant interagir l’Histoire et la fiction – qu’il établit à partir de certains documents « réels », d’informations et de déductions qu’il a pu glaner ou former au cours de l’enquête qu’il a menée – Chessex parvient à restituer un ensemble de scènes et de réflexions homogènes, qui forment un tout que SA logique charpente. L’illusion de réalité est alors telle qu’elle ne laisse d’autre choix au lecteur que de croire à ce qui lui est raconté.
Année
2014
Discipline
littérature romande
Cote_BCU
MFM 1111