“Et au derrain tout a esté pour neant” : espoirs et désillusions de Palamède dans le “Livre du Chevalier errant” de Thomas III de Saluces
MÜHLETHALER, J.-C
Dans cette œuvre allégorique écrite au tournant du XIVe au XVe siècle, dans laquelle se croisent les souvenirs littéraires les plus divers, de la littérature arthurienne au Roman de la Rose, l’auteur raconte la vie du Chevalier Errant au fil des trois « branches » régies respectivement par les personnifications d’Amour, de Fortune et de Connaissance. Le parcours conduit le héros de l’égarement amoureux à la prise de conscience chrétienne et véhicule un enseignement à la fois sentimental, politique et spirituel. Ce travail traite en particulier de la figure du chevalier sarrasin Palamède, amoureux malheureux de la reine Yseut, que le Chevalier Errant rencontre lors de son séjour chez le dieu Amour. L’auteur s’est principalement inspiré du Tristan en prose, vaste roman du XIIIe siècle, afin de créer son personnage. Nous avons donc commencé par relever quelles sont les caractéristiques principales de Palamède dans le Tristan en les étudiant du point de vue de la prouesse chevaleresque ; nous avons aussi tenu compte de la relation que Palamède entretient avec les meilleurs chevaliers de la Table ronde ainsi que de la rivalité qui l’oppose à Tristan et s’exprime dans ses plaintes d’amour. Dans un deuxième temps, nous avons comparé ces éléments à ceux retenus par Thomas III de Saluces afin de saisir les mécanismes de la réécriture actualisante, qui est à l’œuvre dans Le Chevalier errant. En tant que chevalier sans dame attitrée, Palamède joue un rôle d’intrus, de marginal, au sein de la cour d’Amour et l’auteur s’en sert pour dénoncer l’idéal courtois célébré dans l’entourage du dieu. En bon moraliste, il fait voir les failles d’un système que la littérature n’a cessé de célébrer, mais qui, en cette fin du XIVe siècle, est souvent interrogé et mis à mal. Les similitudes qui apparaissent entre Palamède et le Chevalier Errant, lui aussi déçu par l’amour, confirment la volonté de Thomas de Saluces l’auteur de ne pas impliquer le héros principal (projection de l’auteur) dans le conflit qui oppose le dieu d’Amour à l’Empereur des Jaloux. Sous sa plume, Palamède devient un alter ego du Chevalier Errant et leurs expériences exemplaires permettent à Thomas de Saluces de dénoncer, par les disfonctionnements dans le règne d’Amour, le leurre courtois et la littérature qui l’entretient.
Littérature de la fin du Moyen Âge – Palamède – Cour du dieu Amour – Livre du Chevalier errant – Tristan en prose – allégorie – Thomas III de Saluces.
Jusqu'au feu exclusivement : la figure du trickster chez Villon et Rabelais
MÜHLETHALER, J.-C.
L’étude de deux trickster de la fin du Moyen Age et du début de la Renaissance, Villon et Panurge, révèle que, sous le voile étroit de la pure facétie, se cache une philosophie qui reprend, à bien des égards, les traits saillants du cynisme antique. Plus qu’une sagesse qui s’entiche de quelque folie, c’est une véritable pédagogie qu’on croit mettre au jour en découvrant un potentiel profondément subversif qui entérine un retour à la nature afin de dénoncer la vanité des conceptions normatives, qu’elles soient littéraires, religieuses ou sociales.
La mise en scène éminemment matérielle du corps constitue le premier ressort de cette critique généralisée : l’animalisation, la réification, l’avilissement, la violence et la prégnance de la physiologie constituent autant de regards torves portés sur la culture. Le trickster, éclatant le cadre des valeurs et des traditions, agrandit considérablement le réel : ce dernier témoigne alors d’une riche polyvalence, les contraires y coexistent dans une outrancière libération du sens défiant la logique et les identités rassurantes. Le langage devient alors le symptôme d’une difficulté à dire et à lire ce monde en crise, suscitant une compétition au sein de laquelle Villon et Panurge luttent pour un ultime enjeu : une sereine autonomie, celle d’une délicate et mouvante harmonie entre les extrêmes ou, si l’on préfère, une ivresse libératrice.
De l'oral à l'écrit ? Entre intertextualité et style oralisé chez Samivel dans “Les malheurs D'Ysengrin”. Vers une poétique oralisée ?
ADAM, J.-M.
Le but de ce travail est de décrire les différentes facettes du style de Samivel, auteur marginal, dans son ouvrage d’inspiration médiévale Les Malheurs d’Ysengrin. Pour y parvenir, trois axes d’analyse ont été retenus. Le premier se centre sur l’intertextualité qui lie ce texte au Roman de Renart. Les similitudes et différences apparaissent par le biais d’une analyse comparative des deux récits et sont symptomatiques des choix effectués par Samivel lors de la réécriture de certains épisodes de l’œuvre antérieure. De plus, cette mise en parallèle permet d’appréhender les endroits où la subjectivité de l’auteur fait irruption au sein du texte notamment lors de l’utilisation de parenthèses ou de pronoms personnels comme « je », « tu » et « nous » notamment. Ensuite, en utilisant les travaux de Sylvie Durrer, les procédés servant à l’élaboration du style oralisé dans ce texte sont décrits. Différents plans linguistiques sont contaminés. Une ponctuation très abondante ou de nombreuses répétitions lexicales et structurelles font sens lorsqu’elles sont abordées de ce point de vue particulier. Ces dernières n’ont parfois pas les mêmes fins que celles définies par la critique et fondent la singularité du style de l’auteur. Enfin, quelques extraits particulièrement denses sur les plans phoniques et rythmiques sont analysés dans une perspective poétique telle qu’elle est définie par Jakobson. Ces différents axes conduisent à une discussion sur la possibilité ou non d’une poétique fondée sur l’oralité.
Le “lyrisme critique” de Michel Deguy : hétérogénéité discursive de “L'Énergie du désespoir ou d'une poétique continuée par tous les moyens”
RODRIGUEZ, A.
La poésie lyrique peut-elle être le lieu d’une pensée critique ? Partant de cette interrogation, ce mémoire explore le « lyrisme critique » de Michel Deguy, poète contemporain qui fait cohabiter dans ses oeuvres un élan profondément lyrique et une remise en question des valeurs esthétiques de la poésie et des valeurs éthiques de notre société. Par l’étude de sa poétique et l’analyse de L’Énergie du désespoir ou d’une poétique continuée par tous les moyens, ce travail examine la convergence de l’émotion et de la réflexion qui, notamment par la médiation de la figure rhétorique, apparaît dans l’hétérogénéité discursive des textes de Michel Deguy. Mêlant discours lyrique et critique, la poésie de Michel Deguy nous amène ainsi à nous interroger sur la notion d’identité, l’identité du sujet, mais également l’identité de la poésie même.