La solidarité et la solitude dans La Peste, L’hôte et Jonas ou l’artiste au travail d’Albert Camus
Barilier, Etienne
La solidarité et la solitude sont des thèmes récurrents chez Albert Camus. Sa vie et son œuvre en sont empreints. Dans ce travail, nous verrons comment ces notions sont traitées dans trois œuvres de l’auteur : La Peste, L’hôte et Jonas ou l’artiste au travail. Tous les protagonistes ressentent à un moment ou un autre des sentiments de solidarité et de solitude. Certains arrivent à maintenir un équilibre entre les deux ; d’autres privilégient l’un plus que l’autre, avec toutes les conséquences que cela entraîne. Nous verrons que l’exil physique et psychologique des protagonistes peut être atténué par la solidarité humaine. Cependant, cette dernière peut également entrer en conflit avec la volonté de solitude et, ainsi, l’exacerber.
Par l’étude de ces trois œuvres, nous verrons donc que la solidarité et la solitude sont en réalité complémentaires. Le titre même du recueil L’exil et le royaume en témoigne. Leurs relations sont également ambiguës, au point que la fin des nouvelles reste en suspens.
L’Europe avant tout ! Évolution de la pensée européenne de Pierre Drieu la Rochelle
Barilier, Etienne
Lorsqu’il est commenté, le parcours politique de Pierre Drieu la Rochelle est pratiquement toujours évoqué en fonction de son épilogue. Au fil du temps, Drieu a ainsi été résumé à ses prises de positions fascistes et à son collaborationnisme. Mais, comme l’a très bien formulé Jean-Louis Saint-Ygnan, « dire que Drieu est un écrivain fasciste ne signifie presque rien ; l’important est de chercher pourquoi il l’a été et de montrer les formes que cette tentation a prises. » Ainsi, au-delà du jugement et des définitions figées, le but de ce travail est de rendre compte de ce « pourquoi ». Dès lors, il s’agira pour nous de remonter aux premières réflexions politiques de Drieu et de couvrir l’ensemble de son parcours. En suivant l’évolution de cet homme, nous nous rendrons vite compte de la véritable nature de son engagement politique. Nous verrons que, hanté par la crise de la civilisation occidentale, Drieu a rapidement fait de l’Europe sa priorité. À la lumière de son européisme, le parcours tragique de ce « Français d’Europe » s’avèrera éminemment plus complexe et enrichissant que l’étiquette d’« écrivain collabo » ne le laisse entendre. En véritable sismographe des passions qui ont déchiré la première moitié du XXe siècle, Drieu s’imposera, au terme de ce travail, comme un témoin, une figure essentielle à la compréhension de son époque et un Européen avant tout.
Le rapport au spectateur dans le théâtre contemporain : vers une implication inédite ? Une étude à l’épreuve de trois spectacles.
Chaperon, Danielle
« Le théâtre est un rapport, et non un produit. » À l’heure où le théâtre se trouve placé dans une position marginale face au marché médiatique, et où la théorie comme la pratique paraissent se focaliser moins sur le contenu des spectacles que sur leur façon de faire sensation, il semble intéressant de prendre aujourd’hui ce basique constat au sérieux.
De quelle manière le spectateur se voit-il impliqué dans la relation théâtrale contemporaine ? Celle-ci exige-t-elle de lui, comme l’avance Hans-Thies Lehmann, « un état d’esprit entièrement repensé » ? Pour explorer le rapport au spectateur que cherche à instaurer le théâtre expérimental actuel – et par extension, les fonctions qu’il se donne –, cette étude propose quatre grands chapitres. Ceux-ci abordent, respectivement, la manière dont le théâtre contemporain semble se détacher du projet de fournir au spectateur un message ou une dimension référentielle pour privilégier au « sens » des dispositifs sensibles ; la mise en cause de la notion de « public » et l’autonomisation manifeste du spectateur de ce théâtre ; l’inconfort qu’il peut vouloir produire ; et l’apparente revalorisation de l’activité propre au spectateur, après les nombreux procès de « passivité » qui ont pu lui être faits. Ces quatre points sont traités à la lumière des réflexions de divers théoriciens, et d’un corpus de trois spectacles, issus du théâtre de l’Arsenic, qui témoignent de l’élaboration de la position spectatrice de Rodrigo García, d’Oskar Gómez Mata et du duo composé par Nicole Borgeat et Yan Duyvendak. Bien que très restreint, ce corpus permet d’observer un théâtre contemporain qui, de manière stimulante, paraît prendre le parti de responsabiliser son spectateur.
Le Chevalier Silence. Une aventure des Temps Aventureux de Jacques Roubaud : entre réécriture médiévale et réactivation ludique.
Wahlen, Barbara
Ce mémoire propose d’analyser Le Chevalier Silence. Une aventure des Temps Aventureux de Jacques Roubaud, auteur oulipien né en 1932, sous l’angle du régime ludique. Par cette étude, il s’agit de repérer et de déchiffrer les données ludiques dissimulées dans le texte - derrière les allusions et différents hypotextes - afin de saisir l’ampleur que prend le jeu dans l’écriture de Roubaud. Précisément, allier l’écriture savante et ludique à la littérature médiévale, tel est le résultat étonnant que donne à lire cette réécriture moderne qui se trouve au croisement de la tradition et du renouveau, de la littérature médiévale et moderne, d’une littérature arthurienne et une poétique oulipienne. L’œuvre étant constituée d’une intertextualité foisonnante, ce travail ne prétend pas en faire l’inventaire complet. Il vise plutôt à détecter certaines techniques appliquées par l’auteur pour installer son œuvre dans un rapport de lecture amusant.
Composé en trois parties, ce travail s’attarde tout d’abord sur Jacques Roubaud et sur sa conception de l’écriture, de la réécriture et du rôle de l’auteur. La réécriture se voit être le procédé idéal pour transmettre la matière médiévale tout en la renouvelant. Aussi, les motivations de l’auteur en tant que poète oulipien révèlent la volonté de créer de nouvelles formes d’écriture, en usant du jeu avec les mots et de l’humour. L’étude se poursuit en entrant au cœur du texte et en analysant certains motifs, certaines formes, certains topoï et personnages, tant animaliers qu’humains, ainsi qu’à l’onomastique : autant d’éléments réélaborés qui caractérisent le régime ludique de l’œuvre. Aussi, ces données réinvesties mettent en place un jeu de reconnaissance auquel le lecteur doit se prêter en mettant sa mémoire en marche. En sortant ensuite du texte pour s’intéresser au péritexte, on obtient un éclairage supplémentaire : l’auteur-narrateur-éditeur prend la parole dans les divers supports comme le prologue, la note de l’éditeur, la quatrième de couverture, et joue avec les références. Le lecteur doit à nouveau démêler le vrai du faux dans ce qui lui est exposé, constituant un jeu sur la reconnaissance. Au terme de l’analyse, il s’avère que la dimension ludique du Chevalier Silence semble traverser l’œuvre de part en part et se constitue dans un rapport d’auteur à lecteur tant dans le texte que dans son enveloppe.
Résurgences de la guivre et de Mélusine dans les légendes valaisannes. Quand les serpentes hantent le Vieux Pays...
Wahlen, Barbara
Constatant la présence de fées mélusiniennes, de vouivres et de fiers baisers dans les légendes valaisannes, ce mémoire se propose d'analyser les réutilisations de ces personnages de Renaud de Beaujeu, de Jean d'Arras et de Coudrette dans des récits populaires rédigés à la fin du XIXe, début du XXe siècle. Sans être des réécritures exactes, les légendes s'approprient les mythes médiévaux, en restant fidèles à leur « noyau dur », tout en les adaptant au contexte géographique, religieux et social du Valais romand. Ce travail s'attache ainsi à démontrer ces filiations littéraires et leurs transformations, basé sur un corpus de huitante-trois légendes et trois romans médiévaux essentiellement, par le biais de comparaisons principalement thématiques.
Entre sicence-fiction et monde empirique : une lecture réflexive.
Atallah, Marc
Guidé par la perspective d’une lecture réflexive des romans post- apocalyptiques de René Barjavel, le présent travail s’articule en deux parties. Dans un premier volet théorique, conçu avec la volonté de mettre à jour la mécanique des récits science-fictionnels et d’inscrire la démarche au sein d’une réflexion sur les interactions de celle-ci avec la réalité empirique, nous convenons d’un potentiel interrogatoire des récits de la science-fiction dite critique. Dans un second volet, nous envisageons la prise en charge subjective et critique de l’activité de lecture par l’analyse de la configuration narrative de nos romans (Ravage, Le Diable l’emporte, La Nuit des temps et Une rose au paradis). Pour ce faire, nous relevons la mise en scène d’univers aliénants et crédibles, de personnages assujettis au progrès et faisant l’expérience de la situation- limite d’une fin du monde ainsi que l’exposition des conséquences socio- anthropologiques du cataclysme. Susceptible d’éprouver le drame qui se joue au sein de la fiction, le lecteur apparaît comme pouvant se demander ce qu’il aurait fait à la place des héros avant de réfléchir à son propre rapport à la technoscience et, plus généralement, à ce qui constitue son quotidien. Le mode d’interaction à la sphère pratique, par des mondes science-fictionnels futurs et conjecturés, nous mène ainsi à l’établissement d’une dimension réflexive des textes du corpus.
Du poème au recueil : Textualité et transtextualité des Petits Poèmes en prose de Baudelaire
Adam, Jean-Michel
Ce travail aborde différents aspects de la textualité et de la transtextualité des Petits Poëmes en prose de Baudelaire, par l’analyse détaillée de trois poèmes de ce recueil : « Le Crépuscule du soir », « Les Dons des Fées » et « Enivrez-vous », et par une étude logométrique de son système énonciatif.
L’analyse comparative des « Crépuscule[s] du soir » en prose et en vers donne lieu à une réflexion sur l’intratextualité et la cotextualité, puisque ces deux poèmes ont paru en miroir dans l’ouvrage collectif Fontainebleau, et montre comment une même origine idéelle se manifester au travers de deux régimes de poéticité différents. L’analyse génétique du « Crépuscule du soir » en prose met en lumière les procédés transformationnels utilisés par Baudelaire lors de la réécriture de ses textes.
L’analyse des « Dons des Fées » se concentre essentiellement sur le dialogue intertextuel que ce poème entretient avec l’œuvre de Perrault et qui se manifeste notamment par l’emploi de nombreuses majuscules à l’initiale de lexèmes particuliers. La « reconfiguration générique » opérée par Baudelaire va dans le sens de l’ironie et fait de ce poème une parodie du conte de fée.
L’analyse du poème « Enivrez-vous » met prioritairement l’accent sur les procédés rhétoriques (répétitions diverses, encadrements) et sur les rythmes (surtout binaires et ternaires) utilisés par Baudelaire lors de l’écriture de ses poèmes en prose et qui font partie intégrante de leur poéticité. L’examen des relations intratextuelles (principalement autour de la thématique de l’ivresse, très prégnante chez cet auteur), met en évidence la grande cohérence qui règne dans son œuvre.
Enfin, l’analyse logométrique montre, par l’examen des formes verbo-temporelles, le haut degré de narrativisation qui caractérise les poèmes du Spleen de Paris et permet ainsi de distinguer ce recueil de celui des Fleurs du mal, bien que tous deux se rejoignent par une dominance globale du système (inter)locutif.
« Blanc comme la neige noire des cauchemars », Merlin, don du ciel et excroissance de l'enfer ?
Le bien et le mal dans un corpus médiéval et un texte de Catherine Dufour
Wahlen, Barbara
Le travail se propose de comparer le personnage de Merlin dans un corpus médiéval (Geoffroy de Monmouth, Wace, Robert de Boron, La Suite du Roman de Merlin) et un texte moderne (Blanche-Neige contre Merlin l'enchanteur de Catherine Dufour) à travers la problématique du bien et du mal. Savoir où se situe Merlin, entre Dieu et le diable, est essentiel dans les textes du Moyen Age. Alors que cette préoccupation est dépassée dans un texte, à priori, iconoclaste tel que celui de Dufour, il est possible de l'observer à de nombreuses reprises, notamment en ce qui concerne l'origine de l'enchanteur, ses pouvoirs, ses éclats de rire et le rôle qu'il joue dans la conception d'Arthur. En annexe, un entretien avec Catherine Dufour.
Merlin, « lieu vivant de tous les contraires » :
évolution et variations du thème de la dualité chez Michel Rio
Wahlen, Barbara
Ce travail se propose d'étudier le cycle romanesque arthurien de Michel Rio, auteur contemporain français, en le comparant et en le contrastant avec les principaux textes médiévaux impliquant la figure de Merlin. C'est en effet sur l'ambivalence de ce personnage, central chez Rio, que porte notre réflexion. Elle s'organise autour de quatre axes principaux : les origines du protagoniste, primordiales dans cette trilogie arthurienne, la suppression par l'écrivain des pouvoirs surnaturels habituellement attribués à l'« enchanteur », qui perd ici sa dénomination première, l'opposition que le romancier établit entre nature et culture au sein des quatre textes qui font l'objet de notre analyse et finalement le statut de double de l'auteur que Merlin endosse dans ces mêmes ouvrages. C'est à travers l'étude de la dualité de la nature de ce personnage que pourra être explicitée la conception que Michel Rio se fait de la littérature et de l'histoire du royaume de Logres, de sa naissance à son effondrement.
La collection « naïve sessions » réunit neuf textes d’auteurs francophones, imprégnés du monde du rock et de la culture pop. Lancée en 2005 par la maison de disques et de littérature naïve, cette collection propose des textes de fiction s’emparant de figures mythiques du rock ou développant des narrations sur la base de la musique d’un artiste, d’un groupe. Ce travail a pour but d’analyser ce projet de collection en trois temps, sous trois approches différentes :
La première partie présente les conditions d’émergence de la collection dans le champ littéraire français au début du XXIe siècle, en considérant les différents paramètres d’un tel projet éditorial : choix des auteurs, « contrat » de commande, aspects financiers. Comme les auteurs rassemblés pour la collection collaborent à divers autres projets, notamment la revue Inculte, il est également question d’un possible « milieu littéraire ».
La seconde partie est consacrée aux questions formelles engagées par les « naïve sessions ». Il y est question des différentes orientations génériques choisies par les auteurs de la collection – biofictions, fictions à thématiques musicales... L’étude du procédé biofictionnel interroge également la notion de biographie et son rapport à la fiction. Cette partie est au surplus le lieu d’une analyse stylistique des neuf ouvrages, centrée sur la notion de rythme, ainsi que sur l’usage de la citation, procédé propre au traitement littéraire d’un sujet musical.
Comme les livres de la collection s’emparent de figures souvent considérées comme mythiques, telles que Mick Jagger ou Kurt Cobain, la troisième partie est axée sur cette question du « mythe du rock », et permet d’une part de clarifier la notion, et d’autre part d’examiner par quels moyens les auteurs des naïve sessions font foisonner, ou au contraire diminuer l’aura mythique des icônes du rock.
Variation autour des destins de femmes dans « Une si longue Lettre, (Mariama Bâ) »
Le Quellec Cottier, Christine
Depuis trois décennies, la littérature africaine fictionnelle dévoile de nombreux talents féminins. Les récits que ces romancières d’Afrique noire publient sont déroutants, troublants, tant ils excellent en vraisemblance. En cela, ils posent la question du rapport qui unit la fiction à la réalité. Bakhtine et Schaeffer conçoivent ce lien non pas comme une dichotomie – comme l’entend l’opinion publique – mais comme le résultat d’une duplication, dans le sens où la fiction constituerait une émanation de la réalité. Mariama Bâ, Ntyugwetondo Angèle Rawiri et Salla Dieng sont trois écrivaines africaines qui exploitent l’art de produire de la fiction à des époques différentes. Cet essai met en lumière comment chacune d’entre elle procède pour hisser le réalisme de leur roman à son paroxysme. Comment peut-on appréhender à partir d’Une si longue Lettre, de G’amèrakano au carrefour et de La dernière Lettre les présupposés de Bakhtine et de Schaeffer ? Placée dans un contexte où la plume se profile comme une arme redoutable, la question du rapport entre la réalité et la fiction en induit une seconde propre à l’engagement de ces femmes écrivaines : comment la fiction permet-elle de dénoncer, voire de remettre en question les destins que la société assigne aux Africaines ? Quels sont les processus fictionnels pour rendre à ces figures féminines – trop longtemps idéalisées et rendues statiques par les premiers écrivains africains issus de la Négritude – leur profondeur, pour les animer et les faire évoluer ? Notre raisonnement se situe entre le réel et le fictionnel, entre la création et la réception, entre le contenu et la forme.
Albert Camus : "Caligula", analyse génétique de deux états d'un texte théâtral.
Adam, Jean-Michel
Ce travail de Mémoire propose d’analyser deux états de la pièce de théâtre Caligula d’Albert Camus. Comme beaucoup d’œuvres littéraires et théâtrales, cette pièce a connu nombre d’évolutions, des premiers plans et brouillons aux premiers jets, jusqu’au bon à tirer et à une première édition, elle-même suivie d’ajustements et de variations dans les éditions suivantes. Nous avons choisi d’entreprendre cette analyse sur deux états qui relèvent de l’anomalie génétique : nous avons en effet pour le cas de Caligula une première version définitive et dactylographiée en 1941, envoyée à différents éditeurs en même temps que les deux autres œuvres du « cycle de l’Absurde » que sont L’Etranger et Le Mythe de Sisyphe, version définitive qui sera pourtant retravaillée par Camus et qui ne sera éditée qu’en 1944, en deuxième partie du Malentendu. Alors donc qu’elle semblait terminée et que paraissent en 1942 le roman et l’essai sur l’Absurde, la pièce de théâtre est profondément remaniée.
En prenant comme cadre théorique la critique génétique et la génétique textuelle, qui s’intéressent toutes deux au devenir d’une œuvre dans le temps, avant (pour la critique génétique) et après (pour la génétique textuelle) sa publication, nous nous sommes intéressés aux variations observables entre 1941 et 1944 en terme d’ajouts, de suppressions, de remplacements ou de déplacements, quatre processus qui nous ont permis de mettre en évidence les changements opérés par Camus. Il en est ressorti plusieurs constantes que l’on peut catégoriser en quatre domaines. Premièrement, Camus a cherché à améliorer la dimension théâtrale et son aspect dramatique en simplifiant des didascalies trop nombreuses et littéraires ; ensuite, il a tenu compte – de façon consciente ou non – du contexte historique de la Seconde Guerre Mondiale en faisant évoluer le personnage principal de l’empereur désespéré en un tyran ; les différentes critiques des premiers lecteurs l’ont convaincu de gommer les traces d’un romantisme et d’une sensibilité qui les dérangeaient ; enfin, en bon philosophe, il a évidemment fait suivre au sens de la pièce l’évolution de sa propre pensée qui effectue un tournant majeur au début des années 40, passant de l’Absurde à la Révolte comme base de réflexion fondamentale.
Pour un nouveau réalisme
Enjeux diégétiques d’une lecture phénoménologique de L’Emploi du temps de Michel Butor.
Baroni, Raphaël
La recherche d'un plus grand réalisme littéraire s'accompagne-t-elle nécessairement d'une valorisation, au sein de la forme romanesque, du système descriptif au détriment de l'intrigue et de ses manifestations événementielles ? Si les romanciers de la modernité ont majoritairement fait dépendre une accentuation du réalisme littéraire d’une diminution du rôle joué, dans le roman, par la fabula, cette dérive descriptive — qui trouve une forme d'aboutissement dans la volonté déclarée d'Alain Robbe-Grillet de surpasser les « notions périmées » d’histoire et de personnage —, n’a pourtant jamais conduit à une évacuation effective de l’intrigue. Et si Robbe-Grillet, dans son manifeste Pour un Nouveau Roman (1963), se trompait de cible en désignant les éléments descriptifs du roman comme les garants privilégiés de son réalisme ? Fil conducteur d’une enquête philosophico-littéraire qui interroge la mystérieuse unité phénoménologique que forment la réalité, le temps et le roman, notre lecture orientée de L’Emploi du temps de Michel Butor (1956) a pour principale visée d’esquisser les conditions et les modalités d'émergence d’un réalisme de la forme romanesque reposant moins sur l’acuité de ses descriptions que sur la capacité de son intrigue à représenter fidèlement l'événementialité qui fonde l’expérience humaine du temps.
Le personnage postmoderne ou la quête d’un Absolu dans l’univers de science-fiction
Atallah, Marc
L’analyse des personnages, mis en scène dans six romans de science-fiction publiés après 1980, pousse à s’interroger sur la place de l’individu au sein d’univers romanesques qui se fondent sur la logique du progrès et du discours scientifique en extrapolant notre réalité. L’intérêt de ces textes ne réside pas tant, pour nous, dans les innovations, scientifiques ou technologiques qui prennent place à l’intérieur de ces récits, que dans l’évolution de la figure romanesque qui se dessine à travers cette conjecture. En effet, les personnages interagissent dans des sociétés inédites où la technologie et la science dominent. Ce qui a des implications aussi bien en ce qui concerne les valeurs subjectives des personnages, qu’au plan narratif et romanesque de la construction de l’œuvre. Un nouveau « type » de figure romanesque devrait ainsi se profiler, esquissant le visage d’une humanité aliénée par la technocratie. En nous appuyant, principalement, sur les idées développées par J. Habermas, J.-F. Lyortard et G. Lipovetsky, nous cherchons à comprendre les valeurs auxquelles ces personnages postmodernes se rattachent. Et, en ce sens que le discours scientifique rend, théoriquement, difficile la quête d’un Absolu, nous analysons comment, dans ces six romans, les figures romanesques tentent de donner un sens supérieur à leur existence humaine.
"Poètes de l'histoire". Lecture hégélienne du "Rivage des Syrtes" de Julien Gracq
Imperiali, Christophe
Interroger le pouvoir évocateur du Rivage des Syrtes nous amène à considérer, entre autres choses, ses résonances philosophiques. La pensée de G.W.F. Hegel est retenue en particulier pour les points de contact qu’elle offre avec le roman: l’histoire du monde, l’esprit d’un peuple, le grand homme, le désir, le naturel, la mer etc. sont autant d’éléments de l’hégélianisme qui réapparaissent sous la plume « hérétique » de Julien Gracq. En relation aussi avec la poésie surréaliste, la pensée de Hegel rejoint plus fondamentalement Le Rivage dans la prouesse qu’y accomplit l’auteur en peignant un univers romanesque en devenir.
L’identité diplomatique. Du Conseil de Sécurité aux médias de masse : analyse de l’ethos diplomatique d’Alain Juppé
Burger, Marcel
Au Conseil de Sécurité des Nations Unies, les relations internationales s’apparentent à des relations interpersonnelles. Par son identité diplomatique, l’orateur est ainsi légitimé à parler au nom d’un État et à défendre l’image d’une nation, comme il valoriserait une identité personnelle.
Ce travail traite de la construction de l’ethos diplomatique d’Alain Juppé. Il observe la manière dont ce dernier s’en sert pour justifier des actions politiques et élaborer un style personnel. L’analyse se penche dans un premier temps sur trois discours diplomatiques prononcés au Conseil de Sécurité (mars 2011 – mars 2012), avant d’examiner plus succinctement quatre interviews politiques (février 2011 – novembre 2011). Cette recherche formule l’hypothèse qu’un contexte médiatique questionne les limites de l’identité diplomatique : plutôt que de défendre des intérêts essentiellement collectifs comme aux Nations Unies, le locuteur profite de la médiatisation pour valoriser son image personnelle. Contrairement à la pratique diplomatique, connue pour sa politesse presque caricaturale, il semble aussi que l’interview soit plus menaçante pour la face positive du politicien, confronté parfois aux questions agressives du journaliste. Ce travail souhaite rendre compte des stratégies discursives mobilisées par Alain Juppé pour construire, puis médiatiser une identité diplomatique.
Le courage chez Henry Bauchau : parcours et imaginaire autour de trois romans (1932-2008)
Rodriguez, Antonio
Le parcours illustré au cours de ce travail de mémoire a eu comme point de départ une étude de Myriam Watthée-Delmotte, dans laquelle elle montre qu’au sein de l’œuvre bauchalienne, le concept de l’héroïsme subit un glissement de sens et qu’au fil des romans, « il s’est déplacé : il est désormais moins du côté du brillant combattant […] que du résistant qui exerce dans l’ombre un travail de sape des puissances destructrices, sans gloire mais non sans efficacité » [Geneviève Duchène, Vincent Dujardin, Myriam Watthée-Delmotte, Henry Bauchau dans la tourmente du XXe siècle. Configurations historique et imaginaires, Bruxelles : Le Cri, 2008, p. 158]. A la suite d’une esquisse des courants de pensée qui marquent l’œuvre d’Henry Bauchau, l’analyse présente une lecture de ses premiers textes publiés : des écrits journalistiques, appartenant à ses années de militantisme chrétien. La façon dont le courage est défini et discuté dans les journaux de l’auteur a également été étudiée et cela a permis d’observer que l’écriture et l’expérience psychanalytique peuvent être vues comme des épreuves demandant également un certain type de courage pour être poursuivies. L’évolution que la notion de courage subit dans trois ouvrages où la thématique guerrière est présente (Le Régiment Noir, roman de l’excès guerrier, Antigone, dont le personnage éponyme est porteur d’un courage féminin et Le Boulevard Périphérique, véritable hymne à la vie et à l’évolution du courage entre le passé et le présent) fait l’objet de la deuxième partie de ce travail.
L'écriture dune suture au fil de la fiction : une lecture transtextuelle d'Adrien Pasquali
Maggetti, Daniele
L’abord transtextuel de l’œuvre d’Adrien Pasquali semble commandé par ses textes qui ne cessent de se construire autour de références multiples. L’écriture se confronte constamment à d’autres œuvres afin de s’interroger elle-même, toute en développant des spécificités qui lui sont propres. Ainsi, chez cet écrivain, fils d’immigrés italien et ayant grandi en Valais dans le contexte tendu des années Schwarzenbach, les livres se succèdent comme autant de tentatives toutes différentes de trouver un assise et une raison d’être dans la littérature, à défaut de les trouver dans la vie réelle. Cet aspect est d’autant plus frappant que les mêmes réflexions sont menées au cours des différentes fonctions qu’il assume dans les lettres – auteur, essayiste, critique (des autres comme de lui-même) et traducteur. Les recoupements sont donc utiles pour saisir l’œuvre dans sa dimension évolutive puisqu’ils aident à la compréhension de la succession des récits. Le travail se focalise principalement sur les premiers textes qui présentent un important foisonnement transtextuel, en axant les recherches sur le rapport à Charles-Ferdinand Ramuz, véritable maître d’Adrien Pasquali. La prise en compte du dernier ouvrage permet de mieux percevoir la dynamique d’une œuvre qui atteint là son dernier stade.
"Images du monde" dans "Les Corps conducteurs" : pour une lecture iconologique de Claude Simon
Kaempfer, Jean
Les Corps conducteurs (1971) de Claude Simon a souvent été considéré comme un roman impersonnel et expérimental. Il est publié à une époque où le formalisme domine la réception critique de l’auteur, et fait la part belle aux procédés mettant en échec la représentation et l’illusion référentielle. Pourtant, Les Corps conducteurs est aussi basé sur des expériences vécues. Les références au "monde" et à la "culture" y sont foisonnantes. La présente étude aborde cette perspective à partir des images in absentia, de leur traitement référentiel à leur mécanisme analogique. Il y est d’abord question de la mise en œuvre et de la nature des images dans le roman. Dans un deuxième temps, celles-ci sont envisagées à travers des tendances paradoxales entre l’allusion culturelle et la poétique primordiale. Enfin, les enjeux de l’imagerie romanesque sont évalués à l’aune de lectures artistique, socioculturelle puis iconologique.
La figure d'artiste bohème dans trois oeuvres de Murger, Zola et Blooy : rapin, génie précurseur, martyr.
Caraion, Marta
Le présent mémoire étudie les représentations romanesques de la figure d’artiste bohème dans trois œuvres du XIXe siècle, à savoir les Scènes de la vie de bohème (1851) d’Henri Murger, L’Oeuvre (1886) d’Emile Zola et La Femme pauvre (1897) de Léon Bloy. Notre démarche visait à distinguer les moyens qu’emploient les auteurs pour mettre en scène la singularité et la marginalité de leurs peintres fictionnels. Tout en tenant compte d’éléments sociohistoriques et culturels, nous avons associé l’analyse textuelle de passages-clé à une étude thématique. Ainsi, nous avons entrepris d’aborder les romans sous quatre angles différents afin de cerner les particularités des figures d’artistes représentées et de les mettre en relation les unes avec les autres. Le peintre bohème se définissant avant tout par opposition aux valeurs bourgeoises, le traitement littéraire de la figure du bourgeois par rapport à celle de l’artiste a fait l’objet d’une étude approfondie. Nous nous sommes ensuite penchés sur la vie sociale des héros afin d’accéder à une définition positive, c’est-à-dire découlant des affinités morales, sociales et esthétiques qui lient l’artiste à d’autres créateurs. Les finalités narratives et idéologiques des auteurs qui se dissimulent derrière les différents types de sociabilité ont pu être dégagées. Puis, la question de la vocation a été examinée. Il s’agissait d’étudier le rapport ambigu qu’entretiennent les peintres avec les institutions et le public. Cela nous a en outre permis de mettre en évidence les ambitions et les conceptions artistiques des personnages. L’analyse des représentations textuelles de rivaux ainsi que l’étude d’œuvres fictives des peintres ont fait ressortir les valeurs véhiculées par les textes. Enfin, nous nous sommes intéressés à l’importance que les auteurs attribuent à l’argent, en lien avec la réussite ou l’échec artistique. A cet égard, l’étude des dénouements respectifs des romans s’est avérée être particulièrement pertinente, nous permettant de surcroît de cerner les préoccupations et les intentions de chaque auteur. Notre travail a révélé des variations et des représentations dissemblables d’un même sujet. En effet, chaque écrivain confère un statut différent à sa figure d’artiste, dont la singularité s’inscrit dans une cadre précis.
En 1971, le Nouvel Observateur fait grand bruit en publiant dans son 343ème numéro « la liste des 343 françaises qui ont le courage de signer le manifeste 'JE ME SUIS FAIT AVORTER' ». Aujourd'hui connu sous le nom du « Manifeste des 343 salopes », le texte que les féministes publient en pages 5 et 6 du magazine marque un pas décisif dans la légalisation de l'avortement. En raison du faible taux de représentation des femmes au gouvernement à cette époque, il fallait que le message soit percutant pour convaincre une opinion publique largement soumise au dictat du patriarcat, et surtout faire pression sur des politiciens peu enclins à accorder aux femmes « la libre disposition de [leurs] corps » (Nouvel Obs., 05.04.1971 : 6).
C'est pourquoi nous nous sommes intéressée, dans ce mémoire, à étudier les moyens linguistiques employés par l'émetteur dans ce texte pour se faire entendre et persuader. La construction élaborée, mise en place dans « UN APPEL DE 343 FEMMES» de la page 5, et dans le texte intitulé « NOTRE VENTRE NOUS APPARTIENT », à la page 6, au verso de ce document invitait, en effet, à une observation linguistique fine de la stratégie argumentative. Les choix typographiques, la mise en page, la mise en texte, etc. reflètent assurément les diverses tensions qui sous-tendent le message en faveur de l'avortement libre.
Il nous a tout d'abord paru que la complexité des instances locutrices et allocutrices nécessitait une analyse détaillée de la situation d'énonciation dans laquelle le message était émis. Cette complexité provient de la pluralité de ces instances et de la diversité des discours qui composent l'unique document. (partie 1)
Les rapports qu'entretiennent émetteurs et récepteurs dans ce texte, bien que multiples et différents, semblent pourtant s'élaborer dans deux directions principales : la dénonciation d'un certain état du monde, d'une part, et la planification d'un futur autre. Cette double ouverture vers le monde correspond à la double identité de ce texte, comme pamphlet et comme programme, combinaison propre au genre du manifeste. Une analyse générique du document, à la suite de Marcel Burger, permet, en effet, de mettre en évidence les diverses conditions contextuelles et textuelles qui font du recto-verso l'élément clef du passage d'un monde en crise – dénoncée dans le texte – à la résolution de cette crise – que programme le document – aux côtés d'autres actions manifestaires. (partie 2)
La puissance discursive et l'élaboration qui sous-tendent le « Manifeste des 343 » nous a dès lors convaincue d'y appliquer les outils de l'analyse linguistique de l'argumentation, telle que développée par Jean-Michel Adam. Cette dernière approche permet, en effet, d'étudier les dispositifs mis en place par les signataires de ce manifeste pour faire entendre leurs voix, malgré la honte et l'illégalité. (partie 3)
Si notre travail a cherché à dénuder l'architexture complexe du texte d'avril 1971, nous espérons que, une fois le texte décortiqué, la puissance magique du document n'en apparaît que plus admirable !
Variations sur un standard. La biographie au service du roman chez Jean Echenoz.
Kaempfer, Jean
Innombrables, aujourd’hui, sont les écrivains à publier ce que Dominique Viart nomme des « fictions biographiques ». Parmi eux, le romancier Jean Echenoz a fait paraître trois récits biographiques aux Editions de Minuit : Ravel (2006), Courir (2008) et Des éclairs (2010). Notre étude se propose ainsi de saisir les constantes formelles et thématiques de ces textes, et de montrer comment l’écrivain, en sabotant le modèle de la biographie, bâtit de nouveaux romans échenoziens. Pour cela, trois mouvements scandent notre travail. Le premier (la transgression) montre quelles métamorphoses romanesques subit le matériau biographique. Dans le deuxième mouvement (la recomposition), nous étudions les singularités discursives, énonciatives, formelles et stylistiques des trois romans, pour constater qu’à chaque fois le biographié impulse un ordonnancement textuel particulier. Enfin, dans notre troisième mouvement (la réappropriation), nous voyons que Maurice Ravel, Emile Zatopek et Gregor évoquent moins leurs modèles référentiels que d’autres personnages échenoziens ; quant aux contextes historiques, ils donnent lieu à une évaluation éthique de la part de l’auteur, Echenoz dénonçant les sociétés qui jugulent les inventions artistiques. Alors, au terme de notre étude, Ravel, Courir et Des éclairs nous aident à comprendre ce que la biographie apporte au roman contemporain ; et comment, peut-être, elle le régénère, le vivifie —le perpétue.
Mettre en scène une pièce « injouable ». Représentation et interprétation de Par-dessus bord (M.Vinaver) dans sa version intégrale par Christian Schiaretti.
Eigenmann, Eric
Par-dessus bord est l’œuvre la plus monumentale de Michel Vinaver. Elle a été rédigée entre 1967 et 1969. Dès sa parution, elle est saluée par la critique littéraire et le milieu théâtral. Pourtant, ce dramaturge contemporain d’origine française a du patienter près de quarante ans pour que sa pièce soit mise en scène en version intégrale dans son propre pays. Pourquoi, malgré sa thématique indémodable, aucun metteur en scène français n’a osé se confronter à cette pièce avant Christian Schiaretti ? Que souhaite transmettre le directeur du Théâtre National Populaire en mettant en scène une œuvre théâtrale d’une telle envergure ?
Ce travail se concentre sur la mise en scène de Par-dessus bord réalisé par Christian Schiaretti à Villeurbane en 2008. Il analyse les techniques du metteur en scène liées aux ruptures dramaturgiques en particulier spatiotemporelles et celles sur l’identité théâtrale. Divers chapitres sont consacrés à la particularité des dialogues et s’attardent sur la musicalité et la rythmique de la pièce.
La "Deutsche Mythologie" des Grimm, ou l'invention des contes "purement allemands": le dialogue européen des contes, entre "stratégie scénographique" et "reconfiguration générique". "Dornröschen" et "Sneewittchen": deux héroïnes mythiques?
Heidmann, Ute
Ce mémoire vise à démontrer par une analyse textuelle et comparative comment Wilhelm et Jacob Grimm inventent les contes « purement allemands » au fil des éditions successives des "Kinder- und Hausmärchen, gesammelt durch die Brüder Grimm", du manuscrit d’Ölenberg (1810) à l’édition complète de 1856/57, et comment ils créent ainsi un nouveau genre, subtilement baptisé la « Gattung Grimm » (« genre Grimm ») par André Jolles.
Au contraire des conceptions des études folkloristes, ce travail postule, à la suite des recherches d’Ute Heidmann, que les contes et les recueils allemands s’inscrivent dans un processus de « dialogisme intertextuel et intergénérique », processus par lequel les Grimm imposent une nouvelle variation générique. La constitution de cette nouvelle forme générique passe par deux procédés discursifs : d’une part, par la mise en place progressive d’une scénographie très complexe, dans le péritexte des "Kinder- und Hausmärchen" et dans les réécritures multiples des récits qui composent les différents recueils. Cette scénographie vise à instaurer l’idée que les contes allemands récoltés et présentés dans les recueils seraient des réminiscences des mythes nordiques et pangermaniques. Et d’autre part, par la « reconfiguration générique » de textes antérieurs, notamment les contes français, de Charles Perrault et de Marie-Catherine d’Aulnoy, entre autres, ainsi que les "Märchen" allemands de Johann Carl August Musäus et d’Albert Ludwig Grimm. Ces reconfigurations, les Grimm se sont attachés à les dissimuler avec soin. Ils inscrivent ainsi leurs récits en véritable palimpsestes sur les autres voix déjà présentes afin de les imposer à la postérité.
Sur les chemins du temps : écrivains, artistes et géomorphologues à la découverte des paysages du Grimsel
Reichler Claude, Reynard Emmanuel
En 1781, Marc-Théodore Bourrit flânait au fil « des décorations de la route sauvage » qui monte au Grimsel ; vallons tortueux, blancheur des eaux fouettées, gouffres profonds, sommets déchirés, lambeaux de neige… Ces éléments naturels étaient en même temps immortalisés par les crayons de Caspar Wolf esquissant une gorge, une cascade, l’Hospice du Grimsel ou encore le glacier du Lauteraar. Une cinquantaine d’années plus tard, Astolphe de Custine s’émerveillait au contact des rayons de l’aurore, des nuées lumineuses et de la transparence de l’air planant sur les neiges éternelles de l’Aar. Puis, ces dernières années, les géomorphologues se sont intéressés au relief post-glaciaire de la vallée ; blocs erratiques, roches moutonnées, moraines… En 2012, c’est sur les traces de ces visiteurs du passé que j’ai cheminé au cœur du Hasli, mon appareil photographique à la main.
Ainsi, comment conjuguer en une promenade, de Meiringen au col du Grimsel, les représentations d’antan et les connaissances géomorphologiques actuelles ?
C’est tout l’enjeu de ce mémoire qui, d’une part, comprend l’analyse littéraire de plusieurs récits de voyage des 18e et 19e siècles et, d’autre part, vise à apporter sur les paysages décrits un regard plus scientifique, celui du géomorphologue se rendant, un siècle et demi plus tard, sur les lieux mêmes des voyages d’autrefois.