Pour un nouveau réalisme
Enjeux diégétiques d’une lecture phénoménologique de L’Emploi du temps de Michel Butor.
Baroni, Raphaël
La recherche d'un plus grand réalisme littéraire s'accompagne-t-elle nécessairement d'une valorisation, au sein de la forme romanesque, du système descriptif au détriment de l'intrigue et de ses manifestations événementielles ? Si les romanciers de la modernité ont majoritairement fait dépendre une accentuation du réalisme littéraire d’une diminution du rôle joué, dans le roman, par la fabula, cette dérive descriptive — qui trouve une forme d'aboutissement dans la volonté déclarée d'Alain Robbe-Grillet de surpasser les « notions périmées » d’histoire et de personnage —, n’a pourtant jamais conduit à une évacuation effective de l’intrigue. Et si Robbe-Grillet, dans son manifeste Pour un Nouveau Roman (1963), se trompait de cible en désignant les éléments descriptifs du roman comme les garants privilégiés de son réalisme ? Fil conducteur d’une enquête philosophico-littéraire qui interroge la mystérieuse unité phénoménologique que forment la réalité, le temps et le roman, notre lecture orientée de L’Emploi du temps de Michel Butor (1956) a pour principale visée d’esquisser les conditions et les modalités d'émergence d’un réalisme de la forme romanesque reposant moins sur l’acuité de ses descriptions que sur la capacité de son intrigue à représenter fidèlement l'événementialité qui fonde l’expérience humaine du temps.
Le personnage postmoderne ou la quête d’un Absolu dans l’univers de science-fiction
Atallah, Marc
L’analyse des personnages, mis en scène dans six romans de science-fiction publiés après 1980, pousse à s’interroger sur la place de l’individu au sein d’univers romanesques qui se fondent sur la logique du progrès et du discours scientifique en extrapolant notre réalité. L’intérêt de ces textes ne réside pas tant, pour nous, dans les innovations, scientifiques ou technologiques qui prennent place à l’intérieur de ces récits, que dans l’évolution de la figure romanesque qui se dessine à travers cette conjecture. En effet, les personnages interagissent dans des sociétés inédites où la technologie et la science dominent. Ce qui a des implications aussi bien en ce qui concerne les valeurs subjectives des personnages, qu’au plan narratif et romanesque de la construction de l’œuvre. Un nouveau « type » de figure romanesque devrait ainsi se profiler, esquissant le visage d’une humanité aliénée par la technocratie. En nous appuyant, principalement, sur les idées développées par J. Habermas, J.-F. Lyortard et G. Lipovetsky, nous cherchons à comprendre les valeurs auxquelles ces personnages postmodernes se rattachent. Et, en ce sens que le discours scientifique rend, théoriquement, difficile la quête d’un Absolu, nous analysons comment, dans ces six romans, les figures romanesques tentent de donner un sens supérieur à leur existence humaine.
"Poètes de l'histoire". Lecture hégélienne du "Rivage des Syrtes" de Julien Gracq
Imperiali, Christophe
Interroger le pouvoir évocateur du Rivage des Syrtes nous amène à considérer, entre autres choses, ses résonances philosophiques. La pensée de G.W.F. Hegel est retenue en particulier pour les points de contact qu’elle offre avec le roman: l’histoire du monde, l’esprit d’un peuple, le grand homme, le désir, le naturel, la mer etc. sont autant d’éléments de l’hégélianisme qui réapparaissent sous la plume « hérétique » de Julien Gracq. En relation aussi avec la poésie surréaliste, la pensée de Hegel rejoint plus fondamentalement Le Rivage dans la prouesse qu’y accomplit l’auteur en peignant un univers romanesque en devenir.
L’identité diplomatique. Du Conseil de Sécurité aux médias de masse : analyse de l’ethos diplomatique d’Alain Juppé
Burger, Marcel
Au Conseil de Sécurité des Nations Unies, les relations internationales s’apparentent à des relations interpersonnelles. Par son identité diplomatique, l’orateur est ainsi légitimé à parler au nom d’un État et à défendre l’image d’une nation, comme il valoriserait une identité personnelle.
Ce travail traite de la construction de l’ethos diplomatique d’Alain Juppé. Il observe la manière dont ce dernier s’en sert pour justifier des actions politiques et élaborer un style personnel. L’analyse se penche dans un premier temps sur trois discours diplomatiques prononcés au Conseil de Sécurité (mars 2011 – mars 2012), avant d’examiner plus succinctement quatre interviews politiques (février 2011 – novembre 2011). Cette recherche formule l’hypothèse qu’un contexte médiatique questionne les limites de l’identité diplomatique : plutôt que de défendre des intérêts essentiellement collectifs comme aux Nations Unies, le locuteur profite de la médiatisation pour valoriser son image personnelle. Contrairement à la pratique diplomatique, connue pour sa politesse presque caricaturale, il semble aussi que l’interview soit plus menaçante pour la face positive du politicien, confronté parfois aux questions agressives du journaliste. Ce travail souhaite rendre compte des stratégies discursives mobilisées par Alain Juppé pour construire, puis médiatiser une identité diplomatique.
Le courage chez Henry Bauchau : parcours et imaginaire autour de trois romans (1932-2008)
Rodriguez, Antonio
Le parcours illustré au cours de ce travail de mémoire a eu comme point de départ une étude de Myriam Watthée-Delmotte, dans laquelle elle montre qu’au sein de l’œuvre bauchalienne, le concept de l’héroïsme subit un glissement de sens et qu’au fil des romans, « il s’est déplacé : il est désormais moins du côté du brillant combattant […] que du résistant qui exerce dans l’ombre un travail de sape des puissances destructrices, sans gloire mais non sans efficacité » [Geneviève Duchène, Vincent Dujardin, Myriam Watthée-Delmotte, Henry Bauchau dans la tourmente du XXe siècle. Configurations historique et imaginaires, Bruxelles : Le Cri, 2008, p. 158]. A la suite d’une esquisse des courants de pensée qui marquent l’œuvre d’Henry Bauchau, l’analyse présente une lecture de ses premiers textes publiés : des écrits journalistiques, appartenant à ses années de militantisme chrétien. La façon dont le courage est défini et discuté dans les journaux de l’auteur a également été étudiée et cela a permis d’observer que l’écriture et l’expérience psychanalytique peuvent être vues comme des épreuves demandant également un certain type de courage pour être poursuivies. L’évolution que la notion de courage subit dans trois ouvrages où la thématique guerrière est présente (Le Régiment Noir, roman de l’excès guerrier, Antigone, dont le personnage éponyme est porteur d’un courage féminin et Le Boulevard Périphérique, véritable hymne à la vie et à l’évolution du courage entre le passé et le présent) fait l’objet de la deuxième partie de ce travail.
L'écriture dune suture au fil de la fiction : une lecture transtextuelle d'Adrien Pasquali
Maggetti, Daniele
L’abord transtextuel de l’œuvre d’Adrien Pasquali semble commandé par ses textes qui ne cessent de se construire autour de références multiples. L’écriture se confronte constamment à d’autres œuvres afin de s’interroger elle-même, toute en développant des spécificités qui lui sont propres. Ainsi, chez cet écrivain, fils d’immigrés italien et ayant grandi en Valais dans le contexte tendu des années Schwarzenbach, les livres se succèdent comme autant de tentatives toutes différentes de trouver un assise et une raison d’être dans la littérature, à défaut de les trouver dans la vie réelle. Cet aspect est d’autant plus frappant que les mêmes réflexions sont menées au cours des différentes fonctions qu’il assume dans les lettres – auteur, essayiste, critique (des autres comme de lui-même) et traducteur. Les recoupements sont donc utiles pour saisir l’œuvre dans sa dimension évolutive puisqu’ils aident à la compréhension de la succession des récits. Le travail se focalise principalement sur les premiers textes qui présentent un important foisonnement transtextuel, en axant les recherches sur le rapport à Charles-Ferdinand Ramuz, véritable maître d’Adrien Pasquali. La prise en compte du dernier ouvrage permet de mieux percevoir la dynamique d’une œuvre qui atteint là son dernier stade.
"Images du monde" dans "Les Corps conducteurs" : pour une lecture iconologique de Claude Simon
Kaempfer, Jean
Les Corps conducteurs (1971) de Claude Simon a souvent été considéré comme un roman impersonnel et expérimental. Il est publié à une époque où le formalisme domine la réception critique de l’auteur, et fait la part belle aux procédés mettant en échec la représentation et l’illusion référentielle. Pourtant, Les Corps conducteurs est aussi basé sur des expériences vécues. Les références au "monde" et à la "culture" y sont foisonnantes. La présente étude aborde cette perspective à partir des images in absentia, de leur traitement référentiel à leur mécanisme analogique. Il y est d’abord question de la mise en œuvre et de la nature des images dans le roman. Dans un deuxième temps, celles-ci sont envisagées à travers des tendances paradoxales entre l’allusion culturelle et la poétique primordiale. Enfin, les enjeux de l’imagerie romanesque sont évalués à l’aune de lectures artistique, socioculturelle puis iconologique.
La figure d'artiste bohème dans trois oeuvres de Murger, Zola et Blooy : rapin, génie précurseur, martyr.
Caraion, Marta
Le présent mémoire étudie les représentations romanesques de la figure d’artiste bohème dans trois œuvres du XIXe siècle, à savoir les Scènes de la vie de bohème (1851) d’Henri Murger, L’Oeuvre (1886) d’Emile Zola et La Femme pauvre (1897) de Léon Bloy. Notre démarche visait à distinguer les moyens qu’emploient les auteurs pour mettre en scène la singularité et la marginalité de leurs peintres fictionnels. Tout en tenant compte d’éléments sociohistoriques et culturels, nous avons associé l’analyse textuelle de passages-clé à une étude thématique. Ainsi, nous avons entrepris d’aborder les romans sous quatre angles différents afin de cerner les particularités des figures d’artistes représentées et de les mettre en relation les unes avec les autres. Le peintre bohème se définissant avant tout par opposition aux valeurs bourgeoises, le traitement littéraire de la figure du bourgeois par rapport à celle de l’artiste a fait l’objet d’une étude approfondie. Nous nous sommes ensuite penchés sur la vie sociale des héros afin d’accéder à une définition positive, c’est-à-dire découlant des affinités morales, sociales et esthétiques qui lient l’artiste à d’autres créateurs. Les finalités narratives et idéologiques des auteurs qui se dissimulent derrière les différents types de sociabilité ont pu être dégagées. Puis, la question de la vocation a été examinée. Il s’agissait d’étudier le rapport ambigu qu’entretiennent les peintres avec les institutions et le public. Cela nous a en outre permis de mettre en évidence les ambitions et les conceptions artistiques des personnages. L’analyse des représentations textuelles de rivaux ainsi que l’étude d’œuvres fictives des peintres ont fait ressortir les valeurs véhiculées par les textes. Enfin, nous nous sommes intéressés à l’importance que les auteurs attribuent à l’argent, en lien avec la réussite ou l’échec artistique. A cet égard, l’étude des dénouements respectifs des romans s’est avérée être particulièrement pertinente, nous permettant de surcroît de cerner les préoccupations et les intentions de chaque auteur. Notre travail a révélé des variations et des représentations dissemblables d’un même sujet. En effet, chaque écrivain confère un statut différent à sa figure d’artiste, dont la singularité s’inscrit dans une cadre précis.
En 1971, le Nouvel Observateur fait grand bruit en publiant dans son 343ème numéro « la liste des 343 françaises qui ont le courage de signer le manifeste 'JE ME SUIS FAIT AVORTER' ». Aujourd'hui connu sous le nom du « Manifeste des 343 salopes », le texte que les féministes publient en pages 5 et 6 du magazine marque un pas décisif dans la légalisation de l'avortement. En raison du faible taux de représentation des femmes au gouvernement à cette époque, il fallait que le message soit percutant pour convaincre une opinion publique largement soumise au dictat du patriarcat, et surtout faire pression sur des politiciens peu enclins à accorder aux femmes « la libre disposition de [leurs] corps » (Nouvel Obs., 05.04.1971 : 6).
C'est pourquoi nous nous sommes intéressée, dans ce mémoire, à étudier les moyens linguistiques employés par l'émetteur dans ce texte pour se faire entendre et persuader. La construction élaborée, mise en place dans « UN APPEL DE 343 FEMMES» de la page 5, et dans le texte intitulé « NOTRE VENTRE NOUS APPARTIENT », à la page 6, au verso de ce document invitait, en effet, à une observation linguistique fine de la stratégie argumentative. Les choix typographiques, la mise en page, la mise en texte, etc. reflètent assurément les diverses tensions qui sous-tendent le message en faveur de l'avortement libre.
Il nous a tout d'abord paru que la complexité des instances locutrices et allocutrices nécessitait une analyse détaillée de la situation d'énonciation dans laquelle le message était émis. Cette complexité provient de la pluralité de ces instances et de la diversité des discours qui composent l'unique document. (partie 1)
Les rapports qu'entretiennent émetteurs et récepteurs dans ce texte, bien que multiples et différents, semblent pourtant s'élaborer dans deux directions principales : la dénonciation d'un certain état du monde, d'une part, et la planification d'un futur autre. Cette double ouverture vers le monde correspond à la double identité de ce texte, comme pamphlet et comme programme, combinaison propre au genre du manifeste. Une analyse générique du document, à la suite de Marcel Burger, permet, en effet, de mettre en évidence les diverses conditions contextuelles et textuelles qui font du recto-verso l'élément clef du passage d'un monde en crise – dénoncée dans le texte – à la résolution de cette crise – que programme le document – aux côtés d'autres actions manifestaires. (partie 2)
La puissance discursive et l'élaboration qui sous-tendent le « Manifeste des 343 » nous a dès lors convaincue d'y appliquer les outils de l'analyse linguistique de l'argumentation, telle que développée par Jean-Michel Adam. Cette dernière approche permet, en effet, d'étudier les dispositifs mis en place par les signataires de ce manifeste pour faire entendre leurs voix, malgré la honte et l'illégalité. (partie 3)
Si notre travail a cherché à dénuder l'architexture complexe du texte d'avril 1971, nous espérons que, une fois le texte décortiqué, la puissance magique du document n'en apparaît que plus admirable !
Variations sur un standard. La biographie au service du roman chez Jean Echenoz.
Kaempfer, Jean
Innombrables, aujourd’hui, sont les écrivains à publier ce que Dominique Viart nomme des « fictions biographiques ». Parmi eux, le romancier Jean Echenoz a fait paraître trois récits biographiques aux Editions de Minuit : Ravel (2006), Courir (2008) et Des éclairs (2010). Notre étude se propose ainsi de saisir les constantes formelles et thématiques de ces textes, et de montrer comment l’écrivain, en sabotant le modèle de la biographie, bâtit de nouveaux romans échenoziens. Pour cela, trois mouvements scandent notre travail. Le premier (la transgression) montre quelles métamorphoses romanesques subit le matériau biographique. Dans le deuxième mouvement (la recomposition), nous étudions les singularités discursives, énonciatives, formelles et stylistiques des trois romans, pour constater qu’à chaque fois le biographié impulse un ordonnancement textuel particulier. Enfin, dans notre troisième mouvement (la réappropriation), nous voyons que Maurice Ravel, Emile Zatopek et Gregor évoquent moins leurs modèles référentiels que d’autres personnages échenoziens ; quant aux contextes historiques, ils donnent lieu à une évaluation éthique de la part de l’auteur, Echenoz dénonçant les sociétés qui jugulent les inventions artistiques. Alors, au terme de notre étude, Ravel, Courir et Des éclairs nous aident à comprendre ce que la biographie apporte au roman contemporain ; et comment, peut-être, elle le régénère, le vivifie —le perpétue.
Mettre en scène une pièce « injouable ». Représentation et interprétation de Par-dessus bord (M.Vinaver) dans sa version intégrale par Christian Schiaretti.
Eigenmann, Eric
Par-dessus bord est l’œuvre la plus monumentale de Michel Vinaver. Elle a été rédigée entre 1967 et 1969. Dès sa parution, elle est saluée par la critique littéraire et le milieu théâtral. Pourtant, ce dramaturge contemporain d’origine française a du patienter près de quarante ans pour que sa pièce soit mise en scène en version intégrale dans son propre pays. Pourquoi, malgré sa thématique indémodable, aucun metteur en scène français n’a osé se confronter à cette pièce avant Christian Schiaretti ? Que souhaite transmettre le directeur du Théâtre National Populaire en mettant en scène une œuvre théâtrale d’une telle envergure ?
Ce travail se concentre sur la mise en scène de Par-dessus bord réalisé par Christian Schiaretti à Villeurbane en 2008. Il analyse les techniques du metteur en scène liées aux ruptures dramaturgiques en particulier spatiotemporelles et celles sur l’identité théâtrale. Divers chapitres sont consacrés à la particularité des dialogues et s’attardent sur la musicalité et la rythmique de la pièce.
La "Deutsche Mythologie" des Grimm, ou l'invention des contes "purement allemands": le dialogue européen des contes, entre "stratégie scénographique" et "reconfiguration générique". "Dornröschen" et "Sneewittchen": deux héroïnes mythiques?
Heidmann, Ute
Ce mémoire vise à démontrer par une analyse textuelle et comparative comment Wilhelm et Jacob Grimm inventent les contes « purement allemands » au fil des éditions successives des "Kinder- und Hausmärchen, gesammelt durch die Brüder Grimm", du manuscrit d’Ölenberg (1810) à l’édition complète de 1856/57, et comment ils créent ainsi un nouveau genre, subtilement baptisé la « Gattung Grimm » (« genre Grimm ») par André Jolles.
Au contraire des conceptions des études folkloristes, ce travail postule, à la suite des recherches d’Ute Heidmann, que les contes et les recueils allemands s’inscrivent dans un processus de « dialogisme intertextuel et intergénérique », processus par lequel les Grimm imposent une nouvelle variation générique. La constitution de cette nouvelle forme générique passe par deux procédés discursifs : d’une part, par la mise en place progressive d’une scénographie très complexe, dans le péritexte des "Kinder- und Hausmärchen" et dans les réécritures multiples des récits qui composent les différents recueils. Cette scénographie vise à instaurer l’idée que les contes allemands récoltés et présentés dans les recueils seraient des réminiscences des mythes nordiques et pangermaniques. Et d’autre part, par la « reconfiguration générique » de textes antérieurs, notamment les contes français, de Charles Perrault et de Marie-Catherine d’Aulnoy, entre autres, ainsi que les "Märchen" allemands de Johann Carl August Musäus et d’Albert Ludwig Grimm. Ces reconfigurations, les Grimm se sont attachés à les dissimuler avec soin. Ils inscrivent ainsi leurs récits en véritable palimpsestes sur les autres voix déjà présentes afin de les imposer à la postérité.
Sur les chemins du temps : écrivains, artistes et géomorphologues à la découverte des paysages du Grimsel
Reichler Claude, Reynard Emmanuel
En 1781, Marc-Théodore Bourrit flânait au fil « des décorations de la route sauvage » qui monte au Grimsel ; vallons tortueux, blancheur des eaux fouettées, gouffres profonds, sommets déchirés, lambeaux de neige… Ces éléments naturels étaient en même temps immortalisés par les crayons de Caspar Wolf esquissant une gorge, une cascade, l’Hospice du Grimsel ou encore le glacier du Lauteraar. Une cinquantaine d’années plus tard, Astolphe de Custine s’émerveillait au contact des rayons de l’aurore, des nuées lumineuses et de la transparence de l’air planant sur les neiges éternelles de l’Aar. Puis, ces dernières années, les géomorphologues se sont intéressés au relief post-glaciaire de la vallée ; blocs erratiques, roches moutonnées, moraines… En 2012, c’est sur les traces de ces visiteurs du passé que j’ai cheminé au cœur du Hasli, mon appareil photographique à la main.
Ainsi, comment conjuguer en une promenade, de Meiringen au col du Grimsel, les représentations d’antan et les connaissances géomorphologiques actuelles ?
C’est tout l’enjeu de ce mémoire qui, d’une part, comprend l’analyse littéraire de plusieurs récits de voyage des 18e et 19e siècles et, d’autre part, vise à apporter sur les paysages décrits un regard plus scientifique, celui du géomorphologue se rendant, un siècle et demi plus tard, sur les lieux mêmes des voyages d’autrefois.
La déconstruction du roman d'apprentissage dans la littérature francophone d'Afrique Noire
LeQuellec Cottier, Christine
Le roman d’apprentissage est un genre romanesque majeur qui accompagne dès le XVIIIème siècle toute la tradition littéraire européenne. Les variantes de ce genre sont, dès le XXème siècle, très diverses, et entraînent une nécessaire confusion avec le romanesque en général. Dès lors, le qualificatif « roman d’apprentissage » perd de sa spécificité, faisant naître une interrogation quant à sa pertinence. De plus, dans bon nombre de romans d'apprentissage, la notion de formation se voit malmenée ou échoue foncièrement : l'idée d'un anti- apprentissage se manifeste. Cela est tout particulièrement le cas des œuvres françaises du XIXème, nommées « romans de la désillusion ». Ce constat peut s’étendre à la littérature africaine francophone. En effet, il semble aisé de reconnaître dans un grand nombre d’œuvres africaines les motifs du genre. Nous avons constaté que si les écrivains africains ont choisi de manière privilégiée ce modèle pour leurs œuvres, c’est d’une part par nécessité de reconnaissance de la France et d’autre part en raison de la ressemblance de ce prototype français avec les genres oraux africains que sont le conte et l’épopée. Toutes écrites à des périodes littéraires différentes, les œuvres choisies pour ce travail ne répondent pas aux mêmes enjeux idéologiques et n’appellent pas les mêmes constations. Elles proposent chacune une remise en question de la notion d’apprentissage qui s’illustre à travers le déplacement de motifs propres au genre. Notre analyse nous a menée au constat suivant : si le roman d’apprentissage africain francophone présente une déconstruction particulière du genre, cette dernière s’explique par le contexte historique de l’écriture, qui implique, d’une part, une relation particulière à la France et, d’autre part, une idéologie culturelle à respecter. Nous avons également mis en évidence la prédominance de l’Histoire dans la narration, qui entrave profondément les motifs du roman d’apprentissage en abattant sur les protagonistes un déterminisme étouffant qui ne laisse aucune possibilité d’apprentissage. Ainsi, bien que le roman d’apprentissage contienne dès ses origines l’idée d’un apprentissage déçu, la littérature africaine francophone nous propose une déconstruction particulière du modèle.
Personnage incontournable du monde de la montagne, Gaston Rébuffat s’est rendu célèbre autant par ses qualités d’alpiniste que par ses qualités d’auteur. Les genres dans lesquels il a écrit sont nombreux, mais notre choix s’est porté sur le récit de course et le topoguide. Nous avons travaillé ces deux genres en prenant comme point de rencontre la face nord des Drus traitée dans une fiche de topoguide et dans un récit de course. La minutie règne dans la construction de ces textes ; en effet, ils sont travaillés à de nombreuses reprises jusqu’à trouver la formulation la mieux adaptée. De ce fait, de chaque texte se dégage un style particulier, conditionné non seulement par le genre, mais également par les variations que Rébuffat insère. Ce travail nous a permis de mettre en évidence le style des textes ainsi que les conditions qui déterminent certains choix stylistiques.
Des caractéristiques propres à chaque genre ont été découvertes ; cependant, ces dernières cohabitent avec des variations. La structure des ouvrages et des textes sélectionnés est conditionnée par le genre. L’analyse du péritexte et des séquences nous a permis de faire cette constatation : le topoguide est conditionné de manière beaucoup plus importante que le récit de course, et les variations par rapport au genre y sont rares. Au contraire, le genre du récit de course permet une plus grande liberté quant aux choix qui sont opérés : la structure des phrases est ainsi librement choisie par l’auteur alors que dans la fiche du topoguide, elle est conditionnée par le type procédural. Notre travail sur la rythmicité nous a permis de mettre en lumière une adéquation entre la forme et le contenu du récit de course : la forme choisie est utile pour faire ressentir la rapidité qui était de rigueur lors de l’ascension. Dans le topoguide, la forme des phrases, conditionnée par ce genre met en place un rythme régulier.
Parallèlement à l’analyse de l’influence du genre, notre travail avait pour but de déterminer si les différents métiers de Rébuffat (guide et auteur) influençaient la structure de ses textes. On y a donc cherché des traces du guide, mais également du poète qu’il était. Grâce aux plans de texte, à l’usage important d’organisateurs textuels ou au vocabulaire spécialisé que nous avons mis en évidence, nous avons pu confirmer notre hypothèse. Cette figure du guide de montagne a pu en outre être déclinée en deux autres figures : celle de l’expert et celle du pédagogue. Nous avons également pu retrouver la figure du poète, principalement dans le récit de course notamment avec l’usage d’un vocabulaire intimiste et d’une rythmicité des phrases. Entre variation et respect des règles d’écriture, Rébuffat cherche la plus belle voie à faire suivre par ses lecteurs.
Louis XII sur les traces d'Enée, traduction de l'"Enéide" par Octovien de Saint-Gelais
Mühlethaler, Jean-Claude
Le but de ce travail est d’étudier la traduction française de l’Enéide de Virgile réalisée par Octovien de Saint-Gelais et offerte au roi de France Louis XII en 1500, dans son contexte historique et en comparaison avec son modèle latin.
Tantôt fidèle à l’œuvre latine, tantôt opérant des modifications pour simplifier la lecture de son public, Octovien actualise le texte de manière à ce qu’il fasse sens pour ses contemporains. En effet, Octovien écrit dans un contexte historique présentant des similitudes avec le récit raconté par Virgile : Louis XII lance des campagnes militaires en Italie pour prendre possession du duché de Milan sur lequel il a des prétentions – sa grand-mère paternelle ayant été fille du duc de Milan –, tout comme Enée entreprend la conquête du Latium d’où sont originaires ses ancêtres. Le traducteur prend comme modèle le héros troyen qu’il valorise pour légitimer la conquête de Louis XII.
Virgile ayant connu un grand succès tout au long du Moyen-Âge, cette œuvre de traduction avait pour but de divertir le roi de France qui ne pouvait que se sentir flatté d’être comparé au célèbre héros virgilien.
Hollande - Sarkozy: La Guerre de l'Ethos. Construction et Déconstruction de l’Image de Soi et de l’Autre dans la Séquence d’Ouverture du Débat de l’Entre-Deux-Tours des Élections Présidentielles Françaises de 2012.
Burger, Marcel
Ce travail de mémoire prend pour objet d’étude la séquence d’ouverture du débat de l’entre-deux-tours des élections présidentielles françaises qui opposa François Hollande à Nicolas Sarkozy le 2 mai 2012. Il propose dans un premier temps de démontrer que l’ethos (« image de soi que le locuteur construit dans son discours pour exercer une influence sur son allocutaire » selon la définition de Dominique Maingueneau) des candidats est continuellement au centre des débats. Par ailleurs, l’analyse réserve aussi une attention particulière à l’ethos prédiscursif (« ensemble des données dont on dispose sur le locuteur au moment de sa présentation de soi » dans les termes de Ruth Amossy) des deux hommes. L’hypothèse défendue ici est que c’est le travail, ou plus précisément le retravail de leur ethos prédiscursif qui guide la plupart des échanges des candidats. L’analyse du traitement que réservent les débattants aux connaissances préalables que les téléspectateurs possèdent (ou croient posséder) d’eux-mêmes ou de leur adversaire au moment de leur prise de parole sera ainsi placée au cœur de ce travail.
L’exil dans L’Ignorance de Milan Kundera : du thème à une poétique
Cordonier, Noël
L’Ignorance de Milan Kundera est un roman qui se donne aussi comme une observation. Deux egos expérimentaux, Irena et Josef, émigrés de la Tchécoslovaquie depuis vingt ans, font leur Grand Retour dans leur pays d’origine. Un retour que la critique qualifie la plupart du temps d’échec, car il n’y a ni de retour à l’équilibre qui précédait l’exil, ni de grandes échappées lyriques et nostalgiques. Partant de la définition de l’exil de Vĕra Linhartová, ce travail propose de renverser cette vision de l’échec au profit d’une appréhension de l’exil comme d’un outil analytique. Intervenant à l’échelle macrotextuelle et microtextuelle, cette analyse enracine sociologiquement le retour – qu’il soit grand ou non – et le considère comme la marque simultanée de la fin et du début d’une circonvolution de l’émigré dans sa vie et de l’ouvrage dans l’histoire littéraire.
Ce mémoire se propose d’étudier le rapport entre écriture, identité et genre, dans deux œuvres autobiographiques d’Albert Cohen : "Le Livre de ma mère" et "Ô vous, frères humains". Leur écriture varie en fait de celle des écrits fictionnels du même auteur. Il est donc ici question d’expliciter dans un premier temps les divergences de rédaction, puis d’interroger les motifs de ces changements, et enfin de voir ce qu’ils démontrent quant à l’identité de Cohen et au genre de l’autobiographie. Outre les questionnements génériques et identitaires, ce travail examine également de manière plus générale les problèmes liés à l’identité juive au XXe siècle, étant donné que Cohen est juif.
Argumenter, valoriser et faire rêver: les si et le discours publicitaire
Herman, Thierry
A l’aide d’un corpus de 80 publicités récoltées dans la presse écrite et l’affichage public, ce mémoire a pour but d’établir une typologie des si dans le discours publicitaire, afin de comprendre la façon dont ils sont exploités et leurs avantages pour la mise en place d’un propos à la fois convaincant et accrocheur. Nous avons choisi d’examiner en détail les quatre variétés de si les plus représentées dans le corpus, à savoir les si hypothétiques, intensifs, interrogatifs (et si) et concessifs (même si). Les autres types de si sont principalement utilisés comme points de comparaison, pour développer certaines spécificités des grandes catégories de si. Cette analyse fine permet, de manière plus générale, de mettre en évidence les principales stratégies argumentatives et persuasives déployées par le discours publicitaire. Par ailleurs, ce travail défend l’idée de Jean-Michel Adam, qui affirme que le si n’est pas uniquement un outil dont le genre publicitaire se sert, mais également un symbole de ses pratiques. En effet, en mettant en place des univers oscillant sans cesse entre le fictionnel et le réel, le si « reflète tout le jeu de la manipulation publicitaire entre la matérialité effective des produits à vendre et les valeurs imaginaires véhiculées » (Adam 2000 : 181). Enfin, ce travail propose également de s’interroger sur les catégories linguistiques et les mouvements internes de certains types de si, en confrontant leurs définitions grammaticales avec leurs emplois en publicité. Ainsi, nous verrons que les contraintes et les besoins du genre publicitaire poussent parfois à reconsidérer et réévaluer certaines structures préétablies.
Trois façons de reconfigurer les contes. Perrault, Grimm et Janosch (r)écrivent "La Barbe bleue" et "Le Chat botté"
Heidmann, Ute
Dans le cadre de ce mémoire, je me concentre sur les œuvres de Perrault, "Histoires ou Contes du temps passé. Avec des Moralitez", des Grimm, "Kinder- und Hausmärchen, gesammelt durch die Brüder Grimm", et de Janosch, "Janosch erzählt Grimm’s Märchen". Par le biais de la méthode de la comparaison différentielle, je montre comment ces trois œuvres s’inscrivent dans un processus de dialogisme intertextuel et comment chaque auteur révèle sa poétique des contes par le biais d’un processus de reconfiguration générique. A travers cette approche, je souligne que les textes tant de Perrault, des Grimm et de Janosch ne s’inscrivent pas dans un genre universel des contes, mais relèvent de pratiques discursives différentes selon leurs contextes et leurs cultures. En me penchant dans un premier temps sur la construction des dispositifs scénographiques mis en place par chaque auteur, puis, dans un deuxième temps, sur les (r)écritures des contes de "La Barbe bleue" ou "Blaubart" et "Le Chat botté" ou "Der gestiefelte Kater", je dévoile comment, tant Perrault, les Grimm et Janosch inscrivent leurs œuvres dans une nouvelle variation générique.
L'illusion subtile dans le Perceforest : une fiction légitime? Lectures de la métamorphose et métamorphoses du lecteur
Mühlethaler, Jean-Claude
Ce mémoire se propose d’étudier la scénographie du Roman de Perceforest en observant dans quelle mesure la composante autoréflexive de l’œuvre reflète une conception de la fiction interdépendante du contexte de production du Perceforest, visant en retour à légitimer l’œuvre dans laquelle elle s’inscrit. La poétique de l’illusion caractérisant le roman semble dessiner une éthique de la fiction, notamment en mettant l’accent sur la subtilité des personnages à même de produire des illusions. Cette notion, mise en avant par les travaux de Jacqueline Cerquiglini, sert ainsi de lien entre une conception spécifique du fait littéraire à la fin du Moyen Âge et son inscription au cœur de la poétique de l’illusion perceforestine. Cette poétique de l’illusion dessine une éthique de la fiction qui se définit dans l’usage que les faiseurs d’illusions font de leur subtilité (figures d’auteurs) et de la capacité qu’ont les spectateurs de ces illusions à se montrer subtils face à un signe complexe (figures de lecteurs). Par ailleurs, en parallèle à cette conception de la fiction qui se définit dans l’usage qui en est fait, une représentation positive de la fiction semble être mise en avant par l’exposition d’une illusion susceptible de transcender son statut afin d’exprimer une vérité : la métamorphose. Certaines métamorphoses impliquent effectivement une conversion de l’être, rendant leur assimilation à une simple illusion impossible. Les quatre métamorphoses de ce genre mettent ainsi en lumière la fonction civilisatrice que l’auteur du Perceforest assigne à son texte. Finalement, la lecture de ces métamorphoses, associée à une rhétorique de la mémoire, vise en retour métamorphoser le lecteur. L’entreprise du Perceforest se légitime alors dans les fins qu’elle se donne : agir concrètement sur le lecteur et par là même sur le monde.
Quand des héros de contes de fées font de la pub. Analyse linguistique de publicités télévisées françaises reconfigurant "La Belle au bois dormant", "Le Petit Chaperon rouge" et "Cendrillon, ou la petite pantoufle de verre" de Charles Perrault
Cordonier Noël et Pahud Stéphanie
Le sujet de ce mémoire porte sur la reconfiguration des contes de "La Belle au bois dormant", du "Petit Chaperon rouge", et de "Cendrillon, ou la petite pantoufle de verre" de Charles Perrault dans la production publicitaire télévisée française de ces cinquante dernières années.
Afin de tenter d’appréhender la variété des représentations des personnages de ces trois contes dans notre société, premièrement une analyse linguistique des textes de Perrault fait ressurgir les éléments constitutifs des représentations originales. Puis, les principales reconfigurations des trois contes au fil des siècles sont brièvement présentées : la réécriture des Frères Grimm, la réédition des Contes par Jules Hetzel, et l’adaptation cinématographique par Walt Disney. Pour allier l’image au texte, les illustrations accompagnant les récits originaux et leurs récritures, ainsi que celles de la reprise par Walt Disney, sont également analysées en tant qu’iconotextes.
Ces premières observations mènent à l’étude d’un corpus de trente spots télévisés. Les principales variations des représentations des personnages y sont analysées, afin de constater quelles versions des contes nous transmet la publicité et quelles sont leurs différences avec les textes de Perrault. Ces analyses permettent également de questionner les raisons poussant les publicitaires à reconfigurer ces contes, pour tenter de comprendre ce qu’ils peuvent apporter à leurs stratégies de vente.
L'oeuvre de Régis Jauffret sous le prisme de l'empathie: entre cruauté et apaisement
Rodriguez, Antonio
Ce mémoire poursuit un double but : il vise d’une part à fournir un regard neuf et stimulant sur l’œuvre de Régis Jauffret, une œuvre par ailleurs peu étudiée, et d’autre part à mettre en lumière la palette des réactions empathiques qui peuvent être suscitées par un texte. Plus précisément, la notion d’empathie y est utilisée comme un prisme qui révèle la richesse des romans de Jauffret, les phénomènes analysés permettant en retour d’envisager la complexité des processus au travers desquels le lecteur peut saisir les orientations affectives d’un texte.
La rencontre entre l’œuvre de Jauffret et les théories de l’empathie permet de mettre en évidence la dynamique qui associe cruauté et apaisement au sein des écrits de l’auteur, chacune de ces deux tendances mobilisant chez le lecteur un type d’empathie différent. L’analyse des phénomènes empathiques impliqués dans la lecture de Lacrimosa, qui constitue le cœur du travail, permet d’exposer cette dynamique, et se trouve ensuite prolongée par un survol des divers romans que l’auteur a publié à partir d’Histoire d’amour.
Le Roman et les enjeux de la liberté d'expression; La liberté de création face à la protection des personnes
Meizoz, Jérôme
La liberté d’expression est un droit avéré et légiféré au sein de nos sociétés démocratiques. La crainte de la censure paraît lointaine dans l’esprit collectif. Pourtant, bien que moins visible qu’au XIXème siècle par exemple, elle existe toujours. En effet, depuis la fin des années 1990, nous assistons à une recrudescence de mises en poursuites judiciaires d’écrivains contemporains. Il semble que la liberté d’expression n’implique pas le droit de tout dire, y compris dans l’espace de l’imaginaire. Des notions telles que la responsabilité de l’écrivain et la protection des personnes sont mises en avant par la justice, la presse ou encore des associations privées, et tendent progressivement à une limitation du territoire du dire des auteurs. Est-ce parce que la littérature se caractérise dorénavant par sa transgression dans le but d’un scandale qui fait vendre ? Ou au contraire assistons-nous à un retour de la morale bien-pensante ? Il convient dès lors de s’interroger sur les limites potentiellement imputables à la liberté de création et pourquoi celles-ci sont sujettes au débat. En effet, les œuvres se retrouvent de plus en plus souvent accusées d’avoir suggéré des actions répréhensibles auprès des lecteurs. La distinction entre les actes fictifs et les actes réels se floutent et la fiction se trouve jugée sur un pied d’égalité avec la réalité.
L’analyse des quatre romans de ce travail nous confronte, dans un premier temps, au vide judiciaire concernant la liberté de création ; en effet, aucune loi ne légifère l’espace créatif. Dans un second temps, nous nous interrogeons sur le rôle de l’écrivain et sur ses intentions. Enfin, nous mettons en exergue l’importance du rôle de la presse dans la réception de la littérature contemporaine. Nous analysons également l’opposition de la protection des personnes à la liberté d’expression et de création. A partir de quel moment le monde imaginaire d’un roman constitue un danger pour une personne publique ou pour la moralité de la jeunesse ? Les Particules élémentaires, Le Procès de Jean-Marie Le Pen, Plateforme et Rose Bonbon nous permettent de cerner les obstacles que doit combattre la liberté de création afin de pouvoir conserver intacte son territoire du dire.