Passions tragiques et tempérance du style. Les nouvelles de Jean-Pierre Camus.
Zufferey Joël
Dans la première moitié du XVIIe siècle, Jean-Pierre Camus, évêque de Belley, rédige une vingtaine de recueils de nouvelles tragiques, ce qui équivaut à une somme d’environ neuf cent textes. Il paraît surprenant qu’un homme d’Église, réputé de son temps pour la qualité de ses prêches et la ferveur de sa foi, ait recouru à un tel genre littéraire. En effet, inspirées de « faits divers » ou de textes antiques, les nouvelles tragiques relatent les atrocités commises par les hommes : meurtres, viols, adultères, tromperies constituent la matière de ces récits. Toutefois, c’est précisément par le biais de ce genre, et en accord avec sa fonction ecclésiastique, que Camus espère réformer les mœurs de ses lecteurs. Considérant que les exemples vicieux ont plus d’effet que les exemples vertueux, l’auteur aspire à détourner ses lecteurs du mal en leur présentant la variété des horreurs humaines. Or, du moment qu’il évoque les excès de passion, Camus se doit d’accorder sa pratique d’écriture avec sa visée édifiante. Aussi, l’évêque parle des excès humains sans commettre lui-même d’excès au niveau rhétorique. À l’instar des conduites mesurées qu’il souhaite inspirer, il effectue une narration condensée et tempérée des débordements humains. Ce travail de mémoire vise à étudier les répercussions linguistiques de l’objectif d’édification morale de Camus à trois niveaux de ses récits. En observant la composition des textes, certaines formes syntaxiques particulières ainsi que le dispositif énonciatif mis en place par l’auteur, on sera en mesure d’apprécier la façon ingénieuse dont il investit l’écriture littéraire afin d’améliorer les comportements humains.
Créer la communauté. La crise de la société au prisme de la science-fiction dans l'oeuvre d'Alain Damasio.
Rodriguez, Antonio
Ce mémoire se propose d'explorer au travers de l'oeuvre d'un auteur contemporain, Alain Damasio, les implications et perspectives déployées par la (science-)fiction au regard de la crise de sens qui secoue, depuis près de soixante ans, la culture occidentale. Au travers du thème privilégié de la communauté, l'étude qui y prend place se tient à la confluence de l'histoire des idées et de la création littéraire. La science-fiction, comme genre privilégié de questionnement, y est abordée sous l'angle (philosophique et intertextuel) d'un terrain d'expérimentation thématique et linguistique. La question de fond qui l'alimente est celle-ci : est-il possible d'élaborer un lien social permettant aussi bien à l'individu d'amplifier ses aptitudes à vivre que d'établir au sens large avec autrui un rapport éthique ?
L’enchâssement narratif dans les romans d’Andreï Makine: un outil de rétrospection pour une lecture critique du présent?
Cordonier, Noël
A travers l’analyse de trois romans (La musique d’une vie, L’amour humain et La vie d’un homme inconnu), nous nous proposons de nous pencher sur un aspect méconnu et pourtant récurrent de l’œuvre makinienne : le phénomène d’enchâssement narratif. En employant ce procédé, il s’agit pour l’auteur de revenir sur le passé de son pays natal et les événements marquants qui ont jalonné son histoire. Selon nous, chaque œuvre de Makine est marquée par un type de narration dont la tonalité nostalgique traduit la recherche constante d’une patrie aujourd’hui disparue, d’une Russie effacée par le temps et la modernité.
Dans ce travail, nous procédons d’abord à une analyse structurelle des textes pour aborder ensuite les thématiques qui forment le contenu des récits enchâssés et qui apparaissent de façon récurrente au sein des trois romans. Nous nous intéressons par la suite aux réflexions que ces récits enchâssés suscitent au sein des récits enchâssants, et nous tentons enfin de définir plus clairement l’univers esthétique dans lequel nos œuvres évoluent, les courants de pensée qui ont inspiré Makine et la vision du monde que celui-ci cherche à transmettre à son lecteur.
Le récepteur face au méta-théâtre "La Seconde Chute ou Godot, Acte III « continuation »" & "Les Enfers ventriloques" de Sylviane Dupuis en dialogue avec "Ñaque o de piojos y actores" & "Los Figurantes" de José Sanchis Sinisterra
Heidmann Ute, co-directrice : Nunez, Maria Loreto
Le corpus de textes analysés se compose de quatre œuvres issues du répertoire du théâtre hispanique et francophone de la fin du XXème siècle et du début du XXIème siècle : "Ñaque o de piojos y actores" et "Los Figurantes" de José Sanchis Sinisterra ainsi que "La Seconde Chute ou Godot, Acte III « continuation »" et "Les Enfers ventriloques" de Sylviane Dupuis. Ces pièces ont comme spécificité le déploiement du caractère méta-théâtral qui repose ici sur une remise en question des différentes instances engagées dans la communication théâtrale : l’auteur, l’acteur, le personnage et le récepteur (lecteur et spectateur). Le récepteur est au cœur de mon analyse qui étaye l’hypothèse suivante : dans chacune des pièces, la réflexion méta-théâtrale, de par sa manière particulière d’engager le récepteur, permet de créer des effets de sens bien précis. Le phénomène méta-théâtral provoque chez le récepteur un questionnement des limites entre réel et illusion, il crée chez lui une certaine distance car on ne cesse de lui rappeler qu’il est au théâtre et que ce à quoi il assiste est une illusion. Cependant, le méta-théâtre permet une implication directe du récepteur dans le sens où la réflexion provoquée par l’œuvre continue à agir sur lui une fois la pièce terminée. Un subtil questionnement sur la vie (contexte historique et socio-politique) sous-tend chacune des pièces. De plus, le caractère méta-théâtral incite le récepteur à une réflexion sur la pratique théâtrale et sur l’art. Chez les deux auteurs, le méta-théâtre va de pair avec la revendication d’une théâtralité différente qui comprend, entre autres, le travail sur l’espace (scène/salle), la construction d’une structure dramatique particulière, un jeu d’acteur spécifique. Le mémoire comprend deux parties : la première est une analyse du paratexte (titre, épigraphe, dédicace, préface, liste des personnages, notes) et la seconde est une analyse centrée sur le texte dramatique (didascalies, dialogues, dynamique intertextuelle). Cette structure permet d’éviter une analyse strictement thématique ; c’est en partant des indices formels que le fond se révèle. La méthode que j’utilise pour la comparaison des pièces du corpus est différentielle. Elle se base sur la reconnaissance aussi bien des aspects communs aux textes que sur leurs différences.
Dans l'atelier de l'écrivain-lecteur. "Cristal et Clarie" ou l'art de faire du neuf avec de l'ancien : cristallisation productive ou simple plagiat ?
Wahlen, Barbara
Le roman de Cristal et Clarie, composé avant 1268 par un anonyme picard, est une œuvre pour le moins atypique, puisque son histoire se tisse autour de citations souvent littérales prélevées dans la littérature en vers des XIIe et XIIIe siècles. Ces passages sont intégrés harmonieusement à la trame narrative et leur hétérogénéité n’est marquée ni typographiquement, ni par une mention explicite. Par conséquent, ce roman a souvent été accusé de n’être qu’un simple plagiat et a de ce fait connu un succès plutôt mitigé de la part de la critique médiéviste. Ce mémoire se donne pour but de prouver que ces « implicitations », ou citations cachées, sont le signe de l’élaboration d’une poétique réfléchie et propre à l’auteur, entre héritage et création. Car, loin de n’être réemployées qu’à cause d’un prétendu manque d’imagination, les reprises sont toujours l’occasion de détournements parodiques et signifiants. Leur analyse révèle tout un réseau de sens qui démontre la finesse du projet intertextuel à l’œuvre dans Cristal et Clarie.
Débats littéraires en 1830 en France. Entre art social et art pour l'art
Caraion, Marta
Ce mémoire analyse le débat littéraire ayant lieu en 1830 entre deux mouvements. D'une part, l'art pour l'art, héritière de l'école romantique et prônant une indépendance des arts par rapport aux questions sociales et politiques, et d'autre part, l'art social, dont les plus fervents défenseurs sont les fidèles de Saint-Simon qui estiment que le rôle des arts, et plus particulièrement de la littérature, et de réunifier et de guider le peuple vers le bonheur commun qui sera offert par le progrès. Le but de ce travail est de questionner ces deux théories, de les comparer et de les contraster. Dans ce but un texte de chacun des mouvements précités est analysé. Dans un premier temps je me suis penchée sur un manifeste saint-simonien nommé Aux Artistes prônant l'art social et paru en 1830, dont l'auteur est un professeur de lettres nommé Émile Barrault. Dans un deuxième temps, je me suis intéressée à un texte défendant l'art pour l'art. Il s'agit de la préface à Mademoiselle de Maupin rédigée en 1834 par le poète Théophile Gautier. La première partie de mon mémoire s'attache à dégager l'argumentaire structurant ces textes et l'importance des réformes proposées pour la littérature. La seconde partie de mon travail s'applique à retracer l'inscription de ce débat dans la littérature contemporaine. Pour ce faire j'ai sélectionné deux oeuvres de Balzac tirées des scènes de la vie privée soit La Maison du Chat-qui-pelote (1830) et Modeste Mignon (1844). Il s'agit d'une nouvelle et d'un roman dont les intrigues maritales présentent parmi les personnages principaux deux artistes, respectivement, Théodore de Sommervieux et Melchior de Canalis. En grattant la surface des histoires de moeurs, je me suis employée à faire émerger le discours esthétique présent dans ces oeuvres et de le mettre en lien avec le débat entre art social et art pour l'art
L’écriture plurilingue. Entre quête identitaire et exploration stylistique. Le mariage des langues dans trois œuvres romandes : Le Pain de silence, Aires de repos sur l’autoroute de l’information et Sexualität
Maggetti, Daniel
Aborder l’écriture plurilingue dans Le Pain de silence d’Adrien Pasquali, Aires de repos sur l’autoroute de l’information de François Rosset et Sexualität de Pierre Lepori, c’est toucher aux problématiques identitaires liées au métissage, mais c’est aussi assister à une reconfiguration de la notion d’identité à travers un travail sur la langue. Voici la double fonction discursive du plurilinguisme dans les œuvres citées. Afin de vérifier cette hypothèse, ce travail fait interagir le mariage des langues avec les principaux constructeurs de sens dans un récit, à savoir les instances énonciatives, le cadre spatio-temporel et le style. L’analyse révèle tout d’abord, grâce à la territorialisation des langues, l’impact psychique des phénomènes socio-culturels de l’immigration, de la mondialisation et de l’ouverture des frontières en Europe. Elle dévoile ensuite l’inadéquation de l’unilinguisme, en tant que symbole d’un territoire, dans la définition des réalités multiculturelles. L’étude démontre finalement comment l’écriture plurilingue, proposant une nouvelle conception du monde, promeut l’identité hybride et l’antinationalisme. Les constats tirés ancrent les productions de Pasquali, Rosset et Lepori dans le courant contemporain des Lettres romandes, qui milite pour l’acceptation de la différence dans les sociétés d’aujourd’hui, à travers le mélange des langues.
Le miroir du fou. Etude sur le personnage de Daguenet dans les romans en prose des XIIe-XIIIe siècles
Wahlen, Barbara
Le présent mémoire porte sur la figure du fou dans les romans en prose des XIIe-XIIIe siècle. En travaillant sur quatre grands écrits en prose, à savoir : le Lancelot en prose, le Tristan en prose, la Suite Guiron et les Prophesies Merlin, nous avons cherché à retracer l'évolution de Daguenet le fol.
Du personnage effacé, au fou prenant la place du roi, les auteurs mettent en place différents procédés qui permettent de faire évoluer un personnage qui pourrait, sans cela, être pris au piège d'une tradition littéraire parfois rigide.
Le motif de la folie est également largement discuté dans ce travail où Daguenet endosse tour à tour le rôle du fou naturel et celui du fou d'amour, à l'image des grands héros de la Table Ronde que sont Lancelot et Tristan. Tantôt miroir de la folie d'amour et révélateur des autres fous, tantôt victime de cette même passion dévorante, ce travail présente Daguenet dans ces différents rôles, révélant une profondeur souvent inconnue chez ce personnage dont l'identité se forge au fil des textes
Entre référentialité et intertextualité, le réalisme hybride de la fiction dans Verre Cassé d’Alain Mabanckou
Le Quellec Cottier, Christine
Mabanckou prétend refuser d’être assujetti au devoir de témoignage auquel la littérature francophone africaine avait souscrit dès son émergence. Cependant, ses romans entretiennent une relation à son continent d’origine, par le lieu où se déroule l’action, par l’identité des personnages, ou encore par le procédé de l’oralité feinte. Si tout discours fictionnel possède un caractère hybride, dans le sens où il associe à l’imaginaire des références au monde réel et des renvois intertextuels, il apparaît que Mabanckou joue de manière ambiguë de cet état de fait, notamment dans "Verre Cassé". Le concept de scénographie, élaboré par Maingueneau et utilisé dans la théorie postcoloniale, permet d’analyser et de comprendre comment, chez Mabanckou, la fiction littéraire l’emporte en définitive sur un propos apparemment réaliste.
Le théâtre constitue ce qu’il convient d’appeler une tache aveugle dans l’Introduction à la littérature fantastique de Tzvetan TODOROV. Les raisons de cette absence se trouvent peut-être dans la résistance que le théâtre oppose au principal outil développé par le critique dans son essai : « l’hésitation entre le réel et […] l’illusoire [ou] l’imaginaire ».
D’abord, il semblerait que l’« hésitation fantastique » ne peut s’inscrire dans le texte dramatique de la même manière que dans le récit. La valeur affaiblie de la « vérité du récit » (RASTIER) proposée par les didascalies et la fréquente polyphonie des textes dramatiques offrent en effet un terrain très fertile à l’incertitude : même lorsque le lecteur implicite ne devrait en théorie pas « hésiter », le lecteur réel est en pratique autorisé à tout mettre en doute, parce que les textes de théâtre se révèlent particulièrement indécidables. Si l’« hésitation » subvertit potentiellement les règles du monde représenté, alors elle peut être qualifiée de fantastique ; c’est le cas de très nombreuses pièces écrites avant 1770 et après 1890, période où – selon TODOROV – le fantastique existerait presque exclusivement.
Ensuite, les spécificités de la monstration scénique demandent un traitement théorique particulier du voir fantastique au théâtre et la prise en compte de ses incidences sur la lecture du texte dramatique. Comment diriger le lecteur expérimenté ou le lecteur praticien de théâtre sur la piste de l’hésitation entre le réel et l’irréel quand il sait que l’événement scénique sera forcément « pris dans le tissu du réel » (UBERSFELD) ? Si l’illusoire théâtral s’apparente plus à une « hésitation » sur le degré de vérité de ce qui est montré que sur son degré de réalité, comment alors générer chez le spectateur une « vision ambiguë » au sens où l’entend l’auteur de l’Introduction à la littérature fantastique ?
Le théâtre constitue donc un défi pour la théorie du fantastique de TODOROV. Mais surtout, il semble que, prise au mot, cette théorie permette d’approcher au mieux la question délicate de ce que j’ai appelé dans ce travail « l’hésitation théâtrale ».
Paradoxes du discours commercial chez Balzac et Zola
Caraion, Marta
A partir de 1830, l’avènement de trois champs intrinsèquement reliés (le journalisme, la publicité et le nouveau commerce) engendre de nombreux changements non seulement au sein de la société française du XIXe siècle, mais aussi, et surtout, dans le monde littéraire. Ce qui est essentiel pour le propos de cette étude, c’est le fait que ces bouleversements économiques et culturels au cours du XIXe siècle provoquent ce qu'on peut nommer la commercialisation du langage : l'utilisation des mots en tant qu'outils de la modernité et du nouveau commerce. Jusque-là instrument principalement littéraire, le langage subit une transformation radicale et se positionne en tant que technique de vente ; il est utilisé d'une façon inventive dans le but de créer l'illusion et d'éveiller le désir des clients potentiels. Les différentes œuvres littéraires analysées dans ce travail (César Birotteau, L’Illustre Gaudissart I et II de Balzac, Au Bonheur des Dames et Une Victime de la Réclame de Zola) démontrent que les écrivains souhaitent dénoncer l'appropriation des outils artistiques par la rhétorique commerciale. Cependant, paradoxalement, la manière dont ils tentent de produire leur condamnation s'avère souvent révélatrice de leur ambivalence. Afin d’expliquer ce constat, ce travail se compose de deux analyses: premièrement, il s’agit d’examiner de quelle manière le domaine littéraire s'imprègne des écritures périodique et publicitaire en les intégrant à la production romanesque bien qu'en mettant en scène le schéma inverse de répulsion et de rejet des méthodes que l'on utilise dans le champ économique. Ces deux sentiments se produisent de façon simultanée et constituent la cause essentielle de l'ambivalence des hommes de lettres face à la modernité, au nouveau commerce, aux nouvelles formes d'écriture, à la littérature industrielle. Deuxièmement, dans les textes littéraires, le commerce, bien que férocement critiqué, est sans cesse assimilé à la littérature et aux arts de manière générale – au début du siècle cela se produit de manière implicite, l'explicitation intervient par la suite. Les marchands partagent les caractéristiques des écrivains et inversement. Les valeurs attribuées au commerce et à la littérature respectivement ne sont plus très clairement définies et distinguées.
De la gelosie d’Arthur à l’ire d’Yder : les émotions négatives au service de la nouvelle chevalerie dans le Romanz du reis Yder
Wahlen, Barbara
Œuvre arthurienne en vers du XIIIe siècle, le Romanz du reis Yder n’a guère suscité l’intérêt des chercheurs, excepté pour le comportement singulier du roi Arthur qui démontre de nombreux travers, comme le manquement à ses devoirs royaux, l’avarice ou la jalousie. Pathologique, cette dernière a particulièrement retenu l’attention des médiévistes : dans le récit, Guenièvre est présentée comme une femme aimante et fidèle et les accusations que lui porte Arthur sont donc injustifiées.
Notre étude se propose d’observer la jalousie et les autres vices du roi en parallèle d’une autre émotion négative, la colère, qui apparaît avec le héros du roman, Yder. Comme le roi censé représenter un idéal, le chevalier se doit de défendre les traditions courtoises et l’ire semble, dans un premier temps, s’y opposer. Pourtant, au fil de notre analyse, nous verrons au contraire comment elle permet la sauvegarde des valeurs chevaleresques. Instrumentalisée, la colère pousse le personnage d’Yder à s’opposer à la dégénérescence de son souverain. Le jeune homme se fait ainsi le porte-parole d’une nouvelle chevalerie qui doit désormais se construire de façon individuelle, sans ses repères traditionnels et hors de la communauté arthurienne.
Mélusine au XIXème siècle : du narratif au lyrique
Mühlethaler, Jean-Claude
Fondé en 1393 par le roman de Jean d’Arras, le récit de Mélusine est actualisé par la littérature moderne. Partant d’une légende médiévale, l’histoire devient un véritable mythe littéraire au fur et à mesure des reprises successives et s’épanouit pleinement dans la littérature française du XIXème siècle.
Le mythe se renouvelle à travers des œuvres narratives, telles celles d’Edmond Géraud (1810), d’Edouard d’Anglemont (1833) et d’Alfred Delvau (1869), mais également à travers des œuvres poétiques, telles celles de Gérard de Nerval et de Jean Lorrain.
Plaçant au cœur de notre démarche la notion de mythe littéraire telle qu’elle est pensée par Philippe Sellier et le phénomène d’intertextualité selon Michael Riffaterre, notre travail s’intéresse à l’actualisation du mythe. Par la mise en perspective du récit médiéval et du corpus littéraire moderne, l’étude aborde les résurgences littéraires du mythe médiéval de Mélusine au XIXème siècle de manière transversale et sans limite de genre. Mesurer la part d’innovation et la part de fidélité sont les buts principaux de nos analyses et le fil d’Ariane de cette recherche. Un mythe littéraire n’existant que s’il se renouvelle, nous prenons soin d’interroger les évolutions de la représentation du mythe en relation avec l’évolution des mentalités et des enjeux esthétiques propres à chaque auteur. Le travail met donc en évidence comment la valeur et le sens du mythe littéraire de Mélusine se sont recyclés et de quelle manière celui-ci reflète certaines préoccupations esthétiques, idéologiques ou personnelles d’une période ou d’un auteur en particulier.
La critique d'art de Marguerite Duras. Analyse textuelle et stylistique.
Philippe, Gilles
Ce mémoire traite de la critique d’art de Marguerite Duras et adopte une perspective textuelle et linguistique. Le corpus est formé de quatorze textes écrits sur une période de près de quarante ans, ce qui correspond approximativement à la durée de la carrière de l’auteur. Traitant de formes d’art différentes, comme la peinture abstraite et figurative, la sculpture, la mode et la photographie, ce sont pour la plupart des critiques de commande ou des demandes amicales.
Ce travail se divise en quatre parties. Le premier chapitre observe l’origine générique des textes et leur insertion en recueil. Cette partie est descriptive et constitue une introduction aux textes et aux thèmes qu’ils abordent.
Le deuxième chapitre aborde les diverses formes des textes. Certains appartiennent à un sous-genre littéraire et d’autres développent une forme plutôt libre. Cette partie du travail s’intéresse aux types de textes mobilisés par l’auteur pour l’évocation de l’œuvre d’art, tels que la description, la réflexion et le dialogue.
Mettant en œuvre les notions d’ethos et de scénographie issues de l’analyse du discours, le troisième chapitre examine les différentes manières dont les textes façonnent une image de l’énonciateur.
Adoptant une perspective chronologique, le quatrième chapitre examine l’évolution de l’écriture au fil des textes. Le corpus a été divisé en quatre périodes qui correspondent à des époques marquantes pour le style romanesque de l’auteur. L’analyse fait apparaître des régularités stylistiques qui sont moins accentuée dans la première période et qui se généralisent pour finalement aboutir à ce que l’auteur nomme « l’écriture courante ».
La première réception critique de Michel Houellebecq a été marquée par un constat pour le moins ambigu et lourd de sens dans la tradition littéraire française: l'auteur des Particules élémentaires n'aurait pas de style. Comment cette observation, en partie aveugle, polysémique et non innocente, s'est-elle propagée à travers les différentes sphères de légitimation du style de l'écrivain (journalistes, essayistes, universitaires, pasticheurs, dictionnaires)? Et quelles en furent les motivations? Ce travail tente de dégager différentes pistes, notamment un glissement de l'imaginaire stylistique, du plus ou moins correct au plus ou moins visible, dont la conséquence est une confusion plus fréquente entre style peu visible et absence de style, un besoin d'équilibre critique face à la prolifération des écritures blanches, ainsi qu'une identification de Houellebecq aux mutations du monde éditorial qui entraînent selon certains un effondrement du modèle autonome et indépendant de la littérature. Ce travail revient également sur l'hypothèse fondatrice de Jérôme Meizoz pour qui les disputes autour de l'écrivain s'expliquent par la posture polémique de celui-ci. Nous proposons de voir comment la posture "Houellebecq" gagnerait à être envisagée sous l'angle d'une figure culturelle, c'est-à-dire compliquant l'analyse en termes de présentation de soi par une attention plus poussée aux différents acteurs ou mécanismes de promotion qui oeuvrent à la mise en images, en scène, en musique, en cinéma, de Houellebecq.
Le paradoxe des médias dans la presse pour adolescentes: entre sexualisation et conservatisme
Burger, Marcel
Ce travail de mémoire fait état de l’ambiguïté du contenu éditorial d’un magazine en ligne pour adolescentes. A l’aide des théories de la construction des identités de Vion et Goffman sur les faces et les places, plusieurs éléments de ce paradoxe sont mis en avant. Cette instance d’information promeut en effet, de prime abord, une image moderne de la jeune femme sexy et libérée. Ce discours se révèle pourtant être un leurre puisqu’il n’est pas question, au final, d’émancipation féminine ou d’accomplissement personnel, mais bien de la nécessité constante d’être attirante pour les hommes dans le but d’être reconnue socialement et d’être heureuse. Ces faits transmettent auprès des adolescentes une image sexiste et stéréotypée de la femme. Les jeunes lectrices s’imprègnent en effet de cette idéologie et reproduisent les modèles transmis par les médias. La formation de leur identité féminine est réduite à une recherche continue de l’approbation de la gente masculine, et ce, déjà à la période de l’adolescence. La sexualisation présente dans ce média, par l’activation des stéréotypes inégalitaires et sexistes, mène donc au conservatisme, c’est-à-dire à des modèles féminins traditionnels loin des transformations sociales et progressistes qu’on serait en droit d’attendre en 2014.
Maxime Du Camp, écrivain secrétaire du souvenir. Portrait d'une posture d'auteur en trompe-l'oeil.
Caraion, Marta
Maxime Du Camp (1822-1894) est un polygraphe souvent oublié par la critique ou enfermé dans le carcan flaubertien. Pourtant, il a occupé une place importante sur la scène littéraire et journalistique de Paris, dont l’étude détaillée permet d’apporter un autre regard sur l’histoire littéraire du XIXe siècle. Pour mener à bien cette réflexion, j’ai choisi d’aborder l’entier de sa production, afin de saisir les enjeux de l’élaboration d’une posture d’auteur vaste et complexe. Entre présence et absence, Du Camp définit une attitude singulière, en proposant une écriture en trompe-l’œil.
D'une romanesque l'autre : Denis de Rougemont et René Girard.
Corbellari, Alain
Denis de Rougemont (1906-1985) est (ou fut) mondialement connu pour son grand essai L'amour et l'Occident (première édition en 1939). Essai qui connut un grand succès dès sa parution, mais plus auprès des écrivains et des intellectuels « libres » que des universitaires spécialisés, pour lesquels l'essayiste neuchâtelois commettait l'irréparable en mélangeant les disciplines (études médiévales, théologie, freudisme, sociologie...). Parmi ces intellectuels « libres » : René Girard, cet « anthropologue du sacré et de la violence » (selon ses propres mots) né en 1923, et auteur de Mensonge
romantique et vérité romanesque (1961).
L'université, malgré ses prétentions à l'interdisciplinarité, n'a pas réellement pris en compte ni l'oeuvre de Rougemont ni celle de Girard ; j'en veux pour preuve l'absence criante d'édition critique de Rougemont, et le dédain pédant que l'on oppose aux thèses girardiennes... Il est vrai – en ce qui concerne L'amour et l'Occident - que l'érudition à acquérir pour parler avec Rougemont en connaissance de cause est considérable... Mais on ne répond pas nécessairement à l'érudition par l'érudition. On peut tenter d'y répondre par l'analyse ; c'est du moins ce que j'ai essayé de faire, en prenant en un premier temps les propositions de Rougemont sur le roman pour ce qu'elles sont et en en tirant les conséquences – ce qui permet de prendre acte de certaines incohérences de la romanesque rougemontienne ; dans un second temps, en montrant en quoi les failles de cette romanesque, dans ce qu'elles trahissent de leurs présupposés, mènent à la romanesque de Girard, dont les propositions prétendent corriger la romanesque de Rougemont. Un des points forts de mon travail est donc, il me semble, d'avoir contribué à décrire, d'une romanesque l'autre, ce processus de correction d'une oeuvre critique par une autre.
Le M 3476 de la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne.
Zufferey, François
Ce mémoire a pour objet de faire connaître le manuscrit conservé au département des manuscrits de la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne au moyen de nos connaissances actuelles. Il se veut également être une contribution à l’édition critique du texte. Une édition lacunaire a paru en 1845, mais jusqu’à aujourd’hui, le texte de ce témoin n’a jamais été reconsidéré. Le travail de ce mémoire, construit en trois parties, observe d’abord les aspects codicologiques, et tente de retracer l’histoire externe du manuscrit. Ensuite, il s’intéresse à la langue du texte qui lui appartient et particulièrement à sa scripta picarde (une édition semi-diplomatique partielle est disponible en annexe). Enfin, il replace le manuscrit dans sa rédaction, et lui redonne sa place de plus ancien témoin connu du texte de l’amalgame-Miroir du Monde-Somme le Roi, toutes rédactions confondues.
Ce travail se penche sur quatre œuvres de Michel Dave, artiste contemporain établi en Belgique au centre d’art thérapie de La Pommeraie, dirigé par Bruno Gérard, acteur important du monde francophone de l’Art Brut. Dans ce cadre sollicitatif, Michel Dave a réalisé plus de deux cent tableaux composés principalement d’intrigantes listes de mots. Dans une étrange harmonie se dessine une unité nouvelle entre langue et image, où l’énonciation oscille entre le lisible et l’illisible.
Michel Dave écrit, mais nous ne savons pas comment l’appréhender : le lecteur ne peut étiqueter a priori ce qui fait sa spécificité. L’œuvre de Michel Dave est une œuvre libre : elle permet à chacun de s’inventer comme sujet, découvrant du sens ou plutôt des modes de signifier là où ceux-ci ne sont pas nécessairement marqués du point de vue de la convention.
Suivant Emile Benveniste, le langage humain est l’interprétant de la société : l’efficience de la langue de Michel Dave consiste en effet en sa capacité à interroger quitte à les déstabiliser les statuts sociaux attribués : poète ou malade ? peintre ou écrivain ? Quelle place assigner à Michel Dave ? Et si le problème était le nœud du problème ?
La capacité de l’œuvre de Michel Dave à ébranler les grilles de lecture socialement instituées la situe de plein droit dans la poétique de l’art inventée en 1945 par Jean Dubuffet en même temps qu’elle en renouvelle l’action critique.
Olivier Barbarant, artisan d'un verset poétique contemporain
Rodriguez, Antonio
Ce travail cherche à interroger la structure du verset à l'heure de l'extrême-contemporain, en se fondant sur deux recueils contemporains du poète Olivier Barbarant écrits en versets ("Essais de voix malgré le vent" et "Odes dérisoires"). L'analyse de cette forme hybride (qui mêle des éléments de vers et de prose) autant qu'historiquement complexe - dans la mesure où le verset fut d'abord la forme par excellence des textes sacrés et bibliques - apparaît selon nous comme un moyen particulièrement fécond d'appréhender les ambiguïtés génériques qui prévalent dans la poésie contemporaine.
Notre travail, dès lors, tente de montrer que certaines des composantes inhérentes à la poésie d'Olivier Barbarant trouvent un véhicule formel idéal en la forme du verset. Les caractéristiques de cette poésie - les longs poèmes non ponctués, une énonciation vagabonde, une syntaxe circulatoire, voire certaines contradictions sémantiques ou ontologiques (le sacré et le profane s'y côtoient avec bonheur) - semblent comme soutenues par la forme-verset, dont l'un des horizons semble être de ménager une plus grande amplitude rythmique et typographique - donc une ouverture - à la voix poétique. L'instabilité générique autant que syntaxique qui domine ces deux recueils, et qui semble en partie assumée par le recours au verset, apparaît comme le choix légitime d'un poète qui, craignant plus que tout que la poésie ne se fige, ne s'assèche ou ne raréfie toujours plus ses moyens d'expression, souhaite élargir une voix poétique avide de "chanter malgré tout". Le verset apparaît donc dans ces poèmes comme un moyen de faire cohabiter une certaine précarité (ou un déchant) avec la recherche d'un souffle neuf - en tentant de rétablir un dialogue avec la Lyre.
Georges Haldas en voyage : ouverture, pacte de lecture et captatio dans ses chroniques extra-helvétiques
Maggetti, Daniele
Ce mémoire a pour objectif d’étudier certains procédés littéraires que Georges Haldas, écrivain romand très productif, met en œuvre dans ses chroniques. Il y est question tout d’abord d’appréhender sa bibliographie de manière globale en se concentrant sur les « ouvertures » (terme que nous définirons) de trente et un de ses ouvrages. Sur la base de ce corpus, le travail se concentre sur la manière dont Haldas propose un pacte de lecture et entraîne son public dans ce genre qu’il auto-désigne comme celui de la chronique pour se conclure par l’élaboration d’une typologie des ouvertures haldassiennes. Au niveau de la méthode, cette première partie utilise comme outil de recherche un tableau qui répertorie diachroniquement les trente et un textes et leur incipit respectif ainsi que certains éléments observables dans ces débuts textuels.
La seconde partie de ce mémoire se concentre sur La Maison en Calabre, L’Intermède marocain et Pâques à Jérusalem, trois chroniques qui ont la particularité de raconter un voyage vécu par l’écrivain. A travers ces ouvrages, ce travail tâche de montrer comment Haldas construit et développe un récit tantôt autobiographique, tantôt romanesque, mais au sein duquel le lecteur occupe toujours une place singulière et privilégiée. Les procédés de captatio de ces trois chroniques sont observés ainsi que commentés dans cette partie et, enfin, l’auteur est étudié sous l’angle du pacte autobiographique, concept développé par Philippe Lejeune.
La conclusion met en lumière la multiplicité des enjeux de la chronique haldassienne, mais également l’importance des procédés d’écriture propre à l’auteur.
Entre Histoire et fiction : Le vampirisme historique de Jacques Chessex
Maggetti, Daniel
À vocation interdisciplinaire, le présent mémoire s’intéresse à la manière pour le moins singulière dont l’écrivain Jacques Chessex s’y prend pour écrire l’Histoire, en se focalisant sur quatre de ses ouvrages : Le Rêve de Voltaire (1995), Le Vampire de Ropraz (2007), Un Juif pour l’exemple (2009) et Le Dernier Crâne de M. de Sade (2009).
Loin de pouvoir être perçu comme un historien, l’écrivain use, au sein des ouvrages étudiés, de procédés littéraires habiles et récurrents pour empreindre l’Histoire de toute sa subjectivité, l’intégrer à sa propre personne, à son univers et, plus généralement, à la mythologie qui sous-tend son œuvre depuis les années 1960. À chaque fois, les mécanismes qui sous-tendent ce processus de « vampirisation de l’Histoire » demeurent fondamentalement les mêmes. Chaque livre fait le récit d’événements qui se déroulent à des époques différentes, chacune expressément caractérisée : l'Europe des Lumières et celle de l’après Révolution, avec leurs différents courants de pensées et leurs grands hommes ; la Suisse rurale du début du XXe siècle, reculée, ignorante, violente et celle des années 1940, tiraillée entre différentes puissances européennes qui se font la guerre. En sélectionnant et en cristallisant autour de sordides épisodes historiques ce qui constitue, à ses yeux, l’ « essentiel » de ces époques et en y associant ses propres fantasmes, ses traumatismes et ses obsessions, Chessex intègre ces « morceaux attentivement choisis » à tout ce qui constitue son être. Loin d’être innocent, ce processus permet à l’auteur de dresser un portrait en synecdoque de ces différentes périodes – la partie choisie représentant le tout. En effet, loin de brosser de grandes fresques historiques, Chessex resserre toujours l’intrigue autour d’un épisode précis, où viennent se confondre grandes figures et personnages secondaires, moments glorieux ou terribles de l’Histoire et minutes insignifiantes, rêvées ou inventées. Ces récits sont très fortement ancrés dans un lieu. Le Jorat, tout comme la Broye et le plateau lémanique, participent d'un même univers : le Canton de Vaud. De cette unité de lieu découle une unité de pensée particulière : des traditions, des croyances typiquement « chessexiennes », qui imprègnent fortement les gens et influent sur leur manière d'agir. Ainsi, loin de dresser un portrait objectif du canton et de ses habitants, c'est avant tout à lui-même que Chessex revient ; c'est lui qu’il met en scène directement ou indirectement à travers ses personnages, sa vision subjective qu’il impose au lecteur, ses obsessions, ses culpabilités, ses Vaudois qu’il fait vivre. À travers l’Histoire, l'auteur postule donc une permanence de l’être, en même temps qu’avec une certaine ironie il se place, lui et son univers, en position stratégique : au centre de l’Europe, voire même du monde. Sous cet angle, le fait divers apparaît comme un « précipité » et/ou un « vecteur » lui permettant de condenser, de ramener et d’amalgamer des pans entiers de l’Histoire à une mythologie personnelle qui, paradoxalement, enfle et rayonne. De cette écriture oscillant constamment entre la « concentration » et l’« expansion » naissent alors des récits ambigus, dans lesquels l’Histoire rapportée, les sources, l’Histoire vécue, la perception subjective de l’écrivain et l’Histoire inventée ne cessent de s’entrecroiser et d’interagir, pour donner vie à une illusion de réalité particulièrement convaincante.
Loin d’être désorganisés, les divers mélanges, croisements et interactions que Chessex opère, au sein des ouvrages, entre l’Histoire, la perception subjective qu’il peut en avoir et la fiction à proprement parler, résultent de procédés habilement étudiés, qui sont destinés à amadouer le lecteur, à « mentir vrai » pour lui faire croire à la véracité de ce qui lui est raconté, tout en le privant des principaux moyens de contextualisation qui lui permettraient de pouvoir remettre en question la vision subjective et transposée de l’Histoire qu’on lui donne à voir. Or, contrairement à tout ce que la littérature critique a – jusqu’à aujourd’hui – proposé, seule une étude interdisciplinaire – du type de celle que nous présentons ici – concentrée sur la genèse des œuvres, en se basant sur l’étude et les recoupements opérables entre les sources – employées, ou non, par l’écrivain – et la réalité dont elles témoignent, peut permettre de démêler un tel réseau d’associations.
De fait, loin de découler d’un acte de production/création littéraire en soi, le processus de « vampirisation de l’Histoire » opéré par Chessex découle d’un méticuleux travail de recherche, qui a été opéré en amont de l’écriture, et duquel résultent un certain nombre de sources. Toutefois, même si, sur ce point précis, la démarche de Chessex se rapproche de celle d’un historien, l’usage qui est fait de ces documents est radicalement différent. En effet, loin d’employer ces traces dans le but d’étudier et de reconstituer un passé qui soit le plus fidèle possible à la réalité d’antan, l’auteur se sert de ces sources comme autant d’outils – ou de « figures d’autorité » – lui permettant de donner une meilleure illusion de réalité ; n’hésitant pas à les retoucher, à les transformer et parfois même à en inventer des parties entières pour rendre sa perception subjective de l’Histoire tout à fait vraisemblable. Une fois cette démarche accomplie, les documents historiques sont ensuite intégrés au cœur de la narration romanesque, au sein de laquelle ils servent de « fondement », d’ « assise » sur lesquels l’écrivain peut composer ses récits et y mêler sa subjectivité. Chessex peut alors, sur cette « base », créer des scènes qui ne se sont pas produites dans la réalité des affaires traitées, mais qui apparaissent d’une cohérence absolue avec la vision subjective de l’Histoire qu’il est parvenu à bâtir. De fait, en plaçant sur un même plan, en mélangeant et en faisant interagir l’Histoire et la fiction – qu’il établit à partir de certains documents « réels », d’informations et de déductions qu’il a pu glaner ou former au cours de l’enquête qu’il a menée – Chessex parvient à restituer un ensemble de scènes et de réflexions homogènes, qui forment un tout que SA logique charpente. L’illusion de réalité est alors telle qu’elle ne laisse d’autre choix au lecteur que de croire à ce qui lui est raconté.
L’Art du « bestournement » dans Mélusine de Franz Hellens
Wahlen, Barbara
À mi-chemin entre le conte mélusinien et le roman arthurien, mettant en scène des personnages hybrides, à l’instar de l’héroïne éponyme ou de Merlin que Franz Hellens s’ingénie à « retourner », Mélusine ébranle nos convictions les plus profondes. À quoi reconnait-on le rêve et la réalité ? Méconnue du grand public, jugée trop novatrice lors de sa première publication en 1920, cette réécriture étonne tant en raison de la densité de son propos que par la poésie des images qu’elle convoque. En prenant en partie le contre-pied de la tendance actuelle qui consiste à appliquer des outils d’analyse modernes à une œuvre ancienne, notre travail se propose d’aborder cette relecture du conte mélusinien dans une perspective médiévalisante. Par le biais de deux hypotextes principaux, le Merlin en prose (début du XIIIe siècle) et Mélusine ou La Noble Histoire des Lusignan de Jean d’Arras (fin du XIVe siècle), notre analyse questionne la part d’innovation et de reprises de ce roman et plus généralement ce qui fait l’originalité d’une œuvre.
« Les femmes qui se parfument doivent être admirées de loin »
Caraion, Marta
« Les femmes qui se parfument doivent être admirées de loin » met en garde le physiognomoniste Jean-Baptiste Delestre dans son ouvrage De la physiognomonie (1866). Ce faisant, il se fait l'écho d'une réalité sociale contemporaine marquée par un double mouvement de méfiance et d'intérêt pour l'odorat et ses divers stimuli, associés à la maladie et à l'animalité tout autant qu'à la séduction et au raffinement. Cette ambiguïté de l'odeur – et plus précisément de l'odeur féminine – se retrouve dans la littérature de la fin du XIXe siècle qui fait de l'odor di femina un thème-clé de son esthétique. A partir de trois romans de cette période – Nana d'Emile Zola, Notre coeur de Guy de Maupassant et L'Eve future d'Auguste de Villiers de l'Isle-Adam – ce mémoire vise à illustrer la façon dont le parfum de la femme est unanimement décrit comme une menace pour les figures masculines, ces dernières engageant une riposte sous la forme d'une réformation des odeurs féminines. Le travail met également en avant la façon dont les notations olfactives deviennent un moyen d'expression privilégié de thématiques complexes chères à la fin-de-siècle, telles que l'hérédité, la sexualité ou encore l'artificialité.