La monstration: un aspect de la théâtralité dans l'oeuvre romanesque de Sony Labou Tansi
Le Quellec Cottier, Christine
Ce mémoire propose d’aborder la notion de monstration comme un aspect de la théâtralité dans trois œuvres de l’auteur congolais Sony Labou Tansi (1947-1995) : deux romans (L’Anté-peuple, 1976 / La Vie et demie, 1979) et un texte dramatique (La Parenthèse de sang, 1981). Cette notion, qui renvoie au verbe « montrer » (monstrare) et au mot « monstre » (monstrum), implique d’une part l’acte de montrer. D’autre part, il évoque l’idée de l’exhibition du monstre, pratique courante dans les foires à partir du XVème siècle. À travers l’analyse des personnages aux physiques et aux comportements monstrueux caractéristiques des œuvres de Sony Labou Tansi, ce travail cherche à identifier les matrices textuelles de « représentativité » en premier lieu dans un texte dramatique, puis dans un autre genre littéraire : le roman. En partant de ces analyses, l’enjeu consiste à interroger l’impact que ce mélange des genres peut avoir sur le lecteur qui, en présence de traces monstratives, est placé dans la position de spectateur.
Un héros problématique : Solal amoureux ou l’imaginaire de la masculinité dans Belle du Seigneur d’Albert Cohen
Cordonier, Noël
Dans son grand roman d'amour Belle du Seigneur, Albert Cohen met en scène un héros juif, Solal, qui porte un regard étonnant sur sa propre virilité et son engagement dans la relation amoureuse.
Comment l'imaginaire de la masculinité se déploie-t-il dans le prisme d'un XXe siècle qui questionne si violemment la notion même d'humanité?
Les "conquêtes de l'art théâtral": le roman dramatique selon Lacretelle et Laclos
Michel, Lise
Le sujet central de ce mémoire porte sur le "Roman dramatique" de Pierre Louis Lacretelle. Paru en 1802 - mais se rattachant à une esthétique plus proche de celle de la seconde moitié du XVIIIe siècle - cet ouvrage consiste en un mélange très homogène entre différentes caractéristiques du roman et du théâtre, visant ainsi à dépasser les limites et les règles qui sont habituellement imposées à chacun de ces deux genres. S'inscrivant ainsi dans la lignée de Diderot, et visant non seulement à élargir les possibilités d'un théâtre peinant à s'émanciper de certaines normes classiques encore en vigueur, mais également à participer au renouvellement du genre romanesque, Pierre Louis Lacretelle entreprend donc une expérience aussi originale qu'ambitieuse.
L’intérêt de la démarche de Lacretelle réside principalement dans sa volonté de ne pas simplement emprunter des attributs d’un genre pour enrichir l’autre (comme cela s’est vu durant tout le XVIIIe siècle), mais de tenter de les combiner, sans que l’un des deux ne domine, pour en faire un genre nouveau. Il y a pour lui « des points où [roman et théâtre] s’unissent », c’est à dire où ils convergent et partagent des affinités profondes. Le potentiel novateur de cette idée provient du fait qu’elle implique un lien étroit entre deux genres qu’on a jusqu’à ce moment toujours présentés comme antagonistes.
Cette mixité offre également l’avantage de permettre au public de recevoir l’ouvrage de différentes manières ; soit comme un texte à lire (roman ou théâtre), soit comme une pièce à voir en représentation. Lacretelle joue amplement sur cette dernière possibilité et ne rejette pas l’idée de voir son ouvrage transposé à la scène. Choderlos de Laclos, qui rédige en 1803, une année à peine après la première parution (supposée) du "Roman dramatique", ses "Observations du général Laclos sur le roman théâtral de M. Lacretelle aîné", semble quant à lui porter un regard bienveillant vis-à-vis de l’expérience entreprise par Lacretelle. Laclos décède malheureusement avant de pouvoir revoir et terminer son texte, et Lacretelle prendra donc le temps, dans une démarche fort intéressante et déterminante pour le présent travail, de terminer lui-même les "Observations" dans son édition de 1824 du "Roman théâtral", et d’y ajouter tout un appareil critique autant sur son œuvre que sur le théâtre de son temps.
Ces trois textes sont donc au cœur de la réflexion présentée dans ce travail, visant à étudier dans quelle mesure le "Roman dramatique" de Lacretelle parvient à accorder les genres romanesque et dramatique, pour allier leurs avantages et pallier leurs défauts respectifs. Si l'auteur laisse souvent planer le doute quant à son ambition de faire représenter son ouvrage (en particulier dans la Préface et les textes de 1802), nous verrons qu'il prend en considération, dans la construction de son texte, aussi bien les lecteurs que les éventuels spectateurs du "Jeune Malherbe ou le fils naturel". Nous tenterons de déterminer, au vu des entorses faites aux règles des deux genres, de quelle manière Lacretelle parvient à tisser, à partir d'éléments hétérogènes, un ouvrage si unifié.
Ce travail porte sur les liens unissant la poétique d’Emil Cioran, écrivain et penseur essentiel du XXe siècle, avec certaines de ses postures dans son œuvre francophone. Nous avons dégagé quatre pôles autour desquels se développe la poétique française de Cioran : 1) une vision critique du langage, 2) un impact stylistique et éthique du changement de sa langue d’expression littéraire, 3) une conception de ce que doit être un style français, et 4) le refus de la part de notre auteur d’assumer quelque degré d’auctorité que ce soit. Or, dans l’autoreprésentation produite par les gloses de Cioran, la question de la posture paraît essentielle.
Nous avons ensuite pu développer une étude des figures auctoriales forgées par notre penseur. Le lien au langage et l’expression littéraire comme production valorisée par la souffrance ont conduit à l’évocation du dandy et du poète maudit, deux ethè toutefois non spécifiquement créés par la poétique française de Cioran. Il nous restait encore à analyser ses postures spécifiquement francophones : celles du sage dont l’écriture institue une praxis philosophique et existentielle, de l’écrivain français traditionnel reprenant une idée patrimonialisée et classique de ce en quoi consisterait une littérarité proprement francophone, et du penseur libertaire dont l’action consiste à investir l’auctorité textuelle pour la détruire et par là même lutter contre l’autorité délétère des idéologies politiques. Quoi qu’il en soit, Cioran laisse son lecteur libre d’interpréter la part d’implicite et de silence qu’il entretient sciemment dans ses aphorismes – se montrant finalement autant écrivain que penseur.
Délocaliser la littérature : le blog d'Éric Chevillard (2007-2011)
Meizoz, Jérôme
le 18 septembre 2007, Éric Chevillard étrennait son blog (baptisé "L’autofictif ") par la publication de trois aphorismes. En 2015, le projet est toujours actif avec la seule contrainte de produire chaque jour trois nouveaux fragments. Riche aujourd'hui de plusieurs milliers d'aphorisme, ce blog littéraire ne peut qu'étonner et interroger nos habitudes littéraires dédiées peut-être trop souvent au genre romanesque. Les chercheurs qui s'intéressent à cet embryon de phénomène notent « un retour en force du “je” [qui] s’énonc[e] à travers une large variété de thèmes, de styles et d’approches » (voir Christèle Couleau et Pascale Hellégouarc’h (dir.), Les blogs. Écritures d’un nouveau genre, Paris, L’Harmattan, 2010, p. 7.) Cette diversité (littéraire) rendue possible conjointement par ce «"retour du "je"» et l'usage de l'écriture fragmentaire m'a poussé à penser ce support comme un espace où il est possible de s'exprimer en toute liberté sur des considérations littéraires idiosyncrasiques. J'ai donc organisé cette abondante matière numérique dans le but de décrire ce que l'on peut appeler une poétique, c'est-à-dire le regard singulier et personnel que porte Chevillard sur la littérature. L'hypothèse que, par le blog, se dessine les linéaments d'une conception originale et personnelle de la littérature.
Les notions de norme et de marge questionnées par Michel Tremblay dans 'Les Cahiers de Céline'
Le Quellec Cottier, Christine
Ce mémoire est consacré à une trilogie romanesque de Michel Tremblay, 'Les Cahiers de Céline'. Nous avons choisi d’analyser le message sous-jacent de l’auteur, qui révèle une remise en question des notions de norme et de marge. Son questionnement touche de nombreux domaines, nous avons donc choisi de faire une étude narratologique des textes, une analyse linguistique, et un examen sociologique. L’étude narratologique révèle un jeux auctorial concernant les codes génériques dont la distinction n’est plus possible, ces romans pouvant se lire comme des journaux intimes, des autobiographies, des mémoires, des biographies, ou des récits fictionnels. L’analyse linguistique se concentre sur la place du français au Québec, ainsi que sur le combat des écrivains francophones pour promouvoir cette langue. Enfin, l’examen sociologique relève les normes en usage au Québec selon les époques, et les comportements considérés comme marginaux.
L’utilisation de l’aphorisme dans Une si longue lettre, Le Baobab fou et La Saison de l’ombre.
Le Quellec Cottier, Christine
La présence de l’aphorisme – énoncé bref, thétique et gnomique – marque une certaine tension dans trois romans de la littérature africaine francophone (Une si longue lettre, Le Baobab fou et La Saison de l’ombre) écrits par des femmes d’origine sénégalaise et camerounaise, à savoir Mariama Bâ, Ken Bugul et Léonora Miano. En effet, l’apparition régulière de cette forme stylistique à structure syntaxique fixe à l’intérieur de trois textes qui mettent en scène l’instabilité identitaire engendre un paradoxe : elle vise à figer quelque chose au coeur même d’un questionnement sur le rapport à soi et à l’autre. Notre travail vise à démontrer qu’il existe un lien concret entre les diverses intentionnalités relatives à l’utilisation de l’aphorisme dans les textes et la question de l’identité problématique du sujet colonial et postcolonial.
L'actualisation politique par la mise en scène : le cas de l'Antigone de Sophocle
Escola, Marc
En amont de la présente étude, il y a l’envie d’un metteur en scène contemporain d’aborder la tragédie grecque, et plus précisément l’Antigone de Sophocle. Quel est le résultat de cette rencontre et comment, en partant du texte grec, construit-on un spectacle qui fait sens pour un public d’aujourd’hui ?
« Une mise en scène n’est jamais neutre ; c’est une illusion de croire qu’on peut laisser une pièce s’exprimer toute seule. Toujours, il s’agit d’un choix. À plus forte raison dans le cas d’une œuvre ancienne, ou antique », déclarait Antoine Vitez en 1966, au sujet de sa mise en scène d’Électre. La notion de choix est précisément ce qui nous intéresse ici : par l’analyse de trois mises en scène récentes ayant pour base le texte de Sophocle traduit, celles de Paulo Correia (2009, Théâtre National de Nice), d’Adel Hakim (2011, Théâtre des Quartiers d’Ivry/Théâtre National Palestinien) et de Polly Findlay (2012, National Theatre de Londres), ce mémoire propose de s’interroger sur les directions interprétatives qui découlent d’une rencontre entre un lecteur contemporain et un texte ancien, sur le processus de transformation/traduction qui s’active lors du passage du texte à la scène et sur la signification des différents choix de mises en scène. Le tout s’articule autour du phénomène d’actualisation, qui dans ce cas précis est en lien étroit avec la question politique.
Ce mémoire a pour objectif d’étudier le bestornement des motifs courtois dans Joufroi de Poitiers, roman d’aventure du XIIIe siècle qui n’a guère eu le succès qu’il mériterait. Il y est question d’appréhender le bestornement comme un art du renversement qui permet de questionner la tradition. Ainsi, avons-nous observé Joufroi, héros éponyme, qui « renverse » véritablement son monde : il s’éprend de quatre dames différentes, en épouse deux, instrumentalise la religion, entreprend des « compétitions de largesse » et recherche uniquement la gratification sexuelle. Or, cette sexualisation du monde, qui transgresse les valeurs maitresses de la société féodale, censées être incarnée par la chevalerie, contamine jusqu'à la narration même de l’œuvre : placé pourtant sous la protection d’Amour, le narrateur ne tarde à se répandre en plaintes, au point que son omniprésence mine la fiction. Le récit de Joufroi devient ainsi l’illustration de deux stratégies de séduction différentes : l’une est victorieuse (Joufroi), puisqu’elle amène le rire et la jouissance des corps, tandis que l’autre (le narrateur) est malheureuse, car sans résultat. Séduit par les “exploits” du héros, le lecteur est alors poussé à préférer l’immoralité du comte/conte. C’est cette question de la démythification de la chevalerie et de la faillite des valeurs courtoises qui est au cœur même de notre analyse de Joufroi de Poitiers.
A l'âge "où les belles couleurs passent": la figure de la jeune fille dans les romans de C.F. Ramuz
Maggetti, Daniele
La figure de la "jeune fille" est un élément incontournable de l'œuvre romanesque de C.F. Ramuz, et pourtant que ponctuellement examinée par la critique de manière précise et spécifique. Nous nous sommes proposé, dans la présente étude, d'observer ce type de personnage particulier dans les romans de l'écrivain vaudois parus dans la dernière édition de ses Oeuvres complètes, entre 2011 et 2013.
Des fonctions assumées par la "jeune fille" au sein des intrigues, au traitement réservé à cette figure par l'auteur, il s'avère certain au terme de notre parcours que ce personnage occupe une place singulière dans le corps féminin des protagonistes de l'œuvre ramuzienne. Tantôt adjuvante ou opposante aux aspirations d'un héros, tantôt sainte salvatrice pour une communauté, ou encore commère frivole en arrière-plan du récit, la jeune fille est aussi une héroïne au centre de ce dernier, confrontée aux épreuves et aux aléas de l'existence au même titre que son équivalent masculin. Sous le regard quelquefois moqueur, plus volontiers encore attendri du narrateur, elle constitue en outre une exception notable dans la considération, globalement négative, que Ramuz réserve dans son opus aux personnages féminins.
Du tombeau à la création romanesque : l'esplumoir Merlin dans les réécritures contemporaines de Jacques Roubaud et Florence Delay, d'Elsa Solal et de Michel Rio
Wahlen, Barbara
Cette étude porte sur les représentations modernes du mystérieux esplumoir que Merlin crée à la fin du Perceval en prose, roman médiéval attribué au pseudo-Robert de Boron au XIIIe siècle. Il s’agit d’analyser les potentialités d’expression et d’actualisation que revêt ce lieu au sein des réécritures contemporaines suivantes : le cycle du Graal théâtre, composé par Jacques Roubaud et Florence Delay, la pièce Armor d’Elsa Solal, ainsi que la trilogie de Michel Rio, composé des romans Merlin, Morgane et Arthur, leur refonte en un seul volume intitulé Merlin ou le faiseur de rois, auxquels s’ajoute finalement le roman La Terre Gaste, toujours du même auteur.
En prenant appui sur les principales versions médiévales mettant en scène la fin de Merlin, l’on s’intéresse à faire dialoguer les emplois et fonctions propres à ce lieu avec la thématique du tombeau ainsi qu’à éclairer les portées nouvelles attribuées à l’esplumoir dans les réécritures contemporaines. Cet essai se construit autour des trois questions suivantes : Quels traits ont en commun les esplumoirs décrits dans le corpus et les tombeaux médiévaux de Merlin ? Comment les écrivains contemporains réussissent-ils à combler les mystères autour de l’esplumoir tout en lui donnant corps de manière moderne ? Et finalement, quelles nouvelles significations revêtent ces esplumoirs contemporains ?
L’esplumoir moderne se nourrit des variantes médiévales de la disparition de l’enchanteur en devenant un espace des morts. Cette fonction funéraire se construit à la fois dans le souci de conserver la mémoire, qui s’incarne, dans les œuvres contemporaines, dans un lieu de savoir, tel une bibliothèque ou une encyclopédie, et à la fois, dans la représentation de l’acte de création, en particulier littéraire.
Le mémoire porte sur l’œuvre romanesque de Christian Gailly, auteur contemporain encore peu étudié. Christian Gailly, qui a publié tous ses textes aux Éditions de Minuit, est souvent associé au groupe des «minimalistes» ou des «impassibles». Parvenu à l'écriture en «désespoir de cause», selon ses propres dires, l'écrivain ne cesse d’évoquer à longueur d’entretiens son salut obtenu grâce à l’écriture, tout en précisant que ce salut demeurerait profondément dérisoire. Nous sommes partie de cette posture d’écrivain pour analyser l'ensemble de son œuvre romanesque, composée de quatorze romans publiés de 1987 à 2010. Tout en proposant une classification de l’œuvre par cycles et une typologie des personnages, nous avons tenté de dégager la singularité de cette écriture et de comprendre les mutations et les tensions d’une œuvre informée de plus en plus profondément par cette téléologie du salut dérisoire. Nous avons également dégagé la notion de «romanesque dérisoire» qui, jouant du romanesque et du non-romanesque, permet de caractériser le réenchantement d’une littérature de l’hypermodernité.
Fables, mythologie et prophètes : Analyse des figures d’identification des poètes dans les "Discours des Misères de ce temps" de Ronsard et "les Tragiques" d’Agrippa d’Aubigné
Mühlethaler, Jean-Claude
Pisani Gwendolyn, Directeur du mémoire : Jean-Claude Mühlethaler
Fables, mythologie et prophètes : Analyse des figures d’identification des poètes dans les Discours des Misères de ce temps de Ronsard et les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné
Pierre de Ronsard et Agrippa d’Aubigné sont deux auteurs qui, durant les guerres de religion qui sévissaient en France au XVIe siècle, ont abandonné leur poésie lyrique, d’inspiration amoureuse, pour se consacrer à la poésie engagée. Ainsi, dès les années 1560, Ronsard rédige les Discours des misères de ce temps pour défendre la foi catholique, dénonçant le protestantisme qui menace l’unité du royaume et sape à la base l’autorité de la monarchie.
De l’autre côté, vraisemblablement dès l’année 1577, d’Aubigné commence à écrire ses Tragiques, une œuvre qui sera publiée pour la première fois en 1616 et qui revendiquera, elle, le point de vue calviniste en posant les huguenots en martyrs des temps modernes.
Ce travail se propose d’analyser, dans les Discours et les Tragiques, les figures auxquelles ces deux poètes s’identifient (les doubles des auteurs) afin de voir dans quelle mesure et en quoi ces dernières sont représentatives de leur engagement religieux, politique, mais aussi de leurs choix esthétiques. En s’arrêtant plus particulièrement sur la figure du prophète et les doubles du poète issus de la mythologie et de la fable, ce travail devrait permettre de nuancer la notion «d’engagement » chez les deux auteurs en révélant aux lecteurs contemporains la modernité et l’actualité d’œuvres qu’on peut, du moins en partie, éclairer à la lumière de la définition de l’engagement donnée par Jean-Paul Sartre.
Trois "Romes": Stendhal, Taine et Zola face à la Ville éternelle
Caraion, Marta
Si la ville de Rome, lorsque s’ouvre le XIXe siècle littéraire, constitue un passage obligé pour l’écrivain romantique, sensible aux ruines et aux vestiges qui jalonnent la cité latine, cette dernière devient, à l’instar de Paris, l’occasion d’exercer les possibilités d’un nouveau regard, à la fois esthétique et sociologique, que l’obsession réaliste met, peu à peu, en place. En témoignent principalement les œuvres romaines de Stendhal – la troisième version du triptyque Rome, Naples et Florence (1826) ainsi que les Promenades dans Rome (1829) –, le Voyage en Italie de Taine (1866) et le deuxième volet du Cycle des Trois Villes de Zola, Rome (1896), véritables réservoirs de représentations du lieu romain en tant qu’il se présente comme espace esthétique et poétique, social et politique. Plus spécifiquement, les divers panoramas dressés dans les quatre textes susmentionnés, une fois mis en relation, renseignent sur la perception de la Ville éternelle au cours du siècle du progrès et disent le processus de dégradation auquel la focale français soumet Rome : d’immuable source d’adoration, la ville entraîne, corrélativement à l’avènement des doctrines scientistes, un sentiment de répulsion que les écrivains français, dès les années 1860, expérimentent et thématisent.
"Le plus vieux métier du monde" : postures d'auteurs vis-à-vis de la prostitution, de Louis-Sébastien Mercier à Edmond de Goncourt
Kunz Westerhoff, Dominique
Ce travail analyse les postures de différents auteurs de la fin du XVIIIe siècle à la fin du XIXe siècle vis-à-vis du thème prostitutionnel à travers des textes d’envergure variable. Il s’agit du Tableau de Paris de Louis-Sébastien Mercier (1781-1788), des Nuits de Paris de Rétif de la Bretonne (1788-1794), de la Physiologie de la Lorette de Maurice Alhoy (1840), de La Femme sans nom de Taxile Delord (1840), de La Lorette d’Edmond et Jules de Goncourt (1853), et enfin de La Fille Elisa d’Edmond de Goncourt (1877). L’analyse tente de mettre en évidence une évolution du statut de la prostituée dans ces textes, accédant petit à petit au niveau de personnage central individualisé. Ce changement se constate tout d’abord au niveau des systèmes énonciatifs mis en place dans les textes qui se caractérisent par un déplacement allant du factuel au fictionnel. De plus, c’est également au niveau de la scénographie prostitutionnelle que le mouvement d’individualisation de la prostituée se constate : en effet, les auteurs déplacent petit à petit la scène narrative de l’espace public aux espaces clos de la prostitution. Cela s’accompagne par des procédés d’aspectualisation toujours plus internes aux personnages des prostituées, ce qui les fait d’autant plus accéder à l’avant de la scène narrative.
Maylis de Kerangal, une épique contemporaine. Naissance d'un pont et Réparer les vivants: chanter la geste collective
Meizoz, Jérôme
Omnivore, le roman peut tout ingérer selon Maylis de Kerangal, digne représentante du collectif INCULTE, même les sujets et les langages qui n’ont a priori rien de littéraire. Preuves en sont ses deux derniers romans, Naissance d’un pont et Réparer les vivants qui traitent respectivement de la construction d’un pont et du don d’organes. Le premier chapitre de ce mémoire, intitulé « Le roman omnivore », s’ouvre sur des considérations concernant l’évolution notable de l’œuvre de Kerangal, sa méthode de travail comportant une phase importante de documentation et de terrain, la langue qui agit dans ses romans comme un « filtre du réel » ; il se clôt enfin sur une analyse plus fine de la narration qui se veut « sans surplomb », ni sur les personnages, ni sur le lecteur.
La presse et Maylis de Kerangal elle-même qualifient régulièrement Naissance d’un pont et Réparer les vivants « d’épopées contemporaines » et c’est à partir de ce postulat que j’ai orienté l’analyse du deuxième chapitre intitulé « Le roman épique ». Certaines invariances du genre de l’épopée identifiées par Daniel Madelénat (L’épopée, PUF 1986) se retrouvent dans les romans de Kerangal, tant au niveau de la « parole épique » (ton du narrateur, goût de la digression, style) que de la structure de l’action. En outre, Naissance d’un pont et Réparer les vivants s’inscrivent dans la lignée de deux « sous-genres » de l’épopée : le western pour le premier, la chanson de geste pour le second. L’analyse des composantes épiques présentes dans les deux romans permet d’interroger les liens qu’ils entretiennent avec l’épopée et de montrer que le projet qui fonde l’existence même de l’épopée se trouve également au cœur de l’entreprise romanesque de Maylis de Kerangal : chanter les exploits des héros en mobilisant la mémoire collective.
L'hybridité textuelle et identitaire dans la trilogie de Ken Bugul
Le Quellec Cottier, Christine
Dans les années 80, la parution du "Baobab fou", premier volet de la trilogie de Ken Bugul, provoque le scandale, car celle-ci ose briser les tabous. "Le Baobab fou", "Cendres et Braises" et "Riwan ou le chemin de sable" sont des récits de soi qui interrogent le statut de la femme et explorent des thématiques liées à la féminité, à travers le parcours singulier de Ken Bugul.
La mise en parallèle de ces textes avec des concepts théoriques tels que "l’hybridité", "l’autofiction" ou la perspective "postcoloniale" permet d’éclairer l’œuvre et d’apprécier sa dimension transgressive.
La quête de soi de la protagoniste est marquée au sceau de "l’hybridité", du fait de son malaise identitaire. Le texte bugulien rend à la fois compte de cette instabilité, de par son esthétique particulière et c’est aussi le lieu où Ken Bugul peut se reconstruire. L’élaboration créatrice agit ainsi comme une thérapeutique.
D’un conte (à) l’autre. (Re)mise en dialogue des Contes des Fées. Par Mme D*** de Marie-Catherine d’Aulnoy, de La Jeune Amériquaine et les contes marins. Par Mme de ***, de Gabrielle-Suzanne de Villeneuve et du Magasin des enfans de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont
Heidmann, Ute et Núñez, Maria Loreto
Comme son titre l’indique, ce travail de Master porte sur les « contes ». Plus particulièrement, il s’attache à approcher un « conte pour enfants » mondialement connu, celui de « La Belle et la Bête », avec des outils conceptuels qui se veulent novateurs. Le but en est de sortir des préconstruits qui le rangeraient volontiers du côté du « populaire », du « folklorique » et/ou de « l’enfantin ». Ces catégorisations sont autant de préjugés qu’il s’agit avant tout de questionner si l’on veut comprendre le « conte » dans toute sa complexité discursive. Pour ce faire, il est nécessaire de prendre du recul en le remettant en réseau, à la fois avec son contexte d’énonciation et ses intertextes. C’est dès lors en adoptant une perspective comparatiste, discursive et différentielle, que je propose d’en traiter. Dans un premier temps, l’enchâssement narratif comme stratégie énonciative me permettra de cerner le projet qui sous-tend les Contes des Fées. Par Mme D*** de Marie-Catherine d’Aulnoy. Loin de s’adresser à des enfants, l’auteure vise au contraire à converser avec ses contemporains et, plus précisément, ses consœurs. Dans un deuxième temps, je m’étendrai à l’analyse des recueils de Gabrielle-Suzanne de Villeneuve et de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, respectivement La Jeune Amériquaine et les contes marins. Par Mme de *** et le Magasin des enfans, afin de mettre en lumière le dialogue que les trois textes instaurent les uns avec les autres et la subtilité des reconfigurations que les auteures effectuent tour à tour afin de servir un projet discursif personnel et particulier. De cette façon, j’espère être à même de montrer non seulement que le « conte pour enfants » est le fruit d’une subtile collaboration qui visait à replacer la femme sur le devant de la scène, mais aussi de comprendre et d’expliquer comment il a été possible de passer d’un « conte » pour adultes et érudit(e)s à un « conte pour enfants ».
L'extime dans l'autofiction contemporaine au féminin. Annie Ernaux "La Honte", Camille Laurens "Philippe" et Catherine Millet "La vie sexuelle de Catherine M."
Rodriguez, Antonio
Le présent mémoire questionne l’exposition de l’intimité dans les autofictions contemporaines au féminin. Pour rendre compte d’un type d’écriture qui se manifeste à partir des années 1990, nous suggérons de le regrouper sous le concept « extime ». Ce faisant, notre recherche se focalise, dans un premier temps, sur l’évolution socio-culturelle de l’intimité, évolution qui provoque précisément l’essor d’une « culture de l’extime ». Rebondissant sur cette contextualisation, elle propose dans un deuxième temps de passer en revue les différentes apparitions du mot « extime », ainsi que leur apport à sa conceptualisation en littérature. Une fois le cadre posé, sont extraits trois axes d’analyse, illustrés par un corpus composé de La Honte d’Annie Ernaux, de Philippe de Camille Laurens et de La vie sexuelle de Catherine M. de Catherine Millet. La recherche se donne comme but premier de cerner un phénomène littéraire qui immerge le lecteur dans le sensible, tout en façonnant une subjectivité féminine moderne. En traquant à la fois les dimensions esthétiques et interlocutoires de ces récits, la théorisation de l’extime fournit une grille de lecture nouvelle du genre autofictionnel contemporain et constitue en ce sens l’enjeu principal de ce mémoire.
Personnage incontournable de la littérature arthurienne médiévale sans pour autant être central, Morgane est promue héroïne éponyme de l’un des romans de la trilogie arthurienne de Michel Rio. « Lieu vivant de tous les contraires », comme son père spirituel et « amant » Merlin, Morgane illustre à la perfection le couple fondamental présent dans chaque être selon l’écrivain breton : elle est rêveuse et logicienne.
Neige d’un jour ou hiver d’une œuvre : la saison morte dans les romans arthuriens en prose
Wahlen, Barbara
Le choix d’une temporalité hivernale pour des aventures chevaleresques, pendant négatif de la traditionnelle reverdie privilégiée par la littérature arthurienne, est un geste engageant de la part d’un auteur. Une telle rupture avec les conventions doit nécessairement être motivée par des intentions, qui n’auraient pu se satisfaire de la période printanière. Ce mémoire s’attache à les discriminer et à les comprendre. La Suite Guiron place son récit entièrement sous le joug de l’hiver, immense page blanche que s’offre son auteur. La Continuation du Roman de Meliadus, Le Roman d’Érec en prose et La Suite du Roman de Merlin ne proposent que des passages hivernaux restreints et temporaires. Chacun d’entre eux est pourtant un lieu privilégié où se manifestent les enjeux de l’œuvre, dans laquelle ils s’insèrent. L’hiver est identique à une petite boule sertie de facettes miroitantes, que chacun des auteurs fait rouler entre ses doigts, arrêtant son mouvement à l’instant où un reflet, un attribut de l’hiver, lui plait, ou lui est utile. Les mentions des éléments hivernaux remplissent des fonctions très diverses et impactent la trame du récit à des degrés variables. Parfois soigné dans les moindres détails, colossal et inéluctable, d’autres fois plus ponctuel et discret, l’hiver n’est jamais mobilisé sans servir intentionnellement le projet narratif.
« Nous habitons l’absence »
Michel Houellebecq : négociation de présence et dispersion créatrice
Meizoz, Jérôme
L’oeuvre et le personnage de Michel Houellebecq sont devenus indivisibles, tant son corps et son image médiatique sont investis dans la création. Si bien que considérer Houellebecq dans sa globalité implique d’appréhender ensemble un corps et un corpus, son oeuvre et sa posture. Ce mémoire commence par une analyse de la réception, dans l’idée de montrer que ses lecteurs et critiques participent de la création d’une figure d’auteur, s’impliquent dans le champ culturel, et contribuent à garantir à Houellebecq une place dans ce champ, ou à la lui réfuter. De surcroît, en revendiquant l’ambiguïté comme constitutive de l’écriture, Houellebecq sollicite cette réception participative et passablement houleuse.
Par ailleurs, l’extension de l’oeuvre sur différents genres et média suppose différents degrés d’investissement entre l’auteur et sa production. Tandis que dans les romans, l’instance auctoriale s’efface derrière la polyphonie des personnages, il en va autrement de ses essais et de sa poésie, où le lecteur est invité à projeter une forme de « sincérité », d’« authenticité ». En pensant l’oeuvre à la manière d’une cartographie, d’un univers intermédial, j’analyse dans cette optique des territoires moins abordés par la critique houellebecquienne : sa correspondance avec Bernard-Henri Lévy, ses photographies, ses disques, ses films.
Enfin, s’il y a une cohérence de l’oeuvre au-delà des supports, elle se manifeste par le biais de références communes et de récurrences thématiques et formelles. Les motifs de la disparition, de la dissolution, de l’absence, font écho aux pensées de Schopenhauer, de Comte et du bouddhisme, qui se laissent deviner en toile de fond à travers l’ensemble de l’oeuvre.
« La pharmacie de Michel Houellebecq : le traitement de la psychanalyse dans ses romans. »
Meizoz, Jérôme
La psychanalyse est présente, sous une forme ou sous une autre, dans chacun des six romans que Michel Houellebecq a publiés entre 1994 et 2015. Les personnages, à l’instar de l’écrivain, y tiennent des propos très radicaux à son égard : charlatanisme, arnaque, école d’égoïsme, fausse science. La psychanalyse ne semble bonne à rien puisqu’elle ne résout rien. D’ailleurs, elle traverse une crise en France en cette première décennie du XXIème siècle. La société ainsi que les médias relaient ainsi bon nombre des critiques qui lui sont adressées dans les romans houellebecquiens. La mise à mort de la méthode freudienne que Michel Houellebecq s’attache à mettre systématiquement en scène ne sert-elle qu’à ancrer ses romans dans un débat de société ? Qu’en est-il des autres acteurs du champ de la santé mentale qui peuplent également ses romans ? Si, selon ses propres dires, Michel Houellebecq « méprise » la psychanalyse, le traitement romanesque qu’il lui réserve peut nous ouvrir les portes de sa poétique d’auteur et nous éclairer sur le diagnostic qu’il établit de la société occidentale contemporaine.
Chariton d’Aphrodise – Théorie littéraire
«ἐρωτῶμεν, ἄνωθεν ἄρξαι, πάντα ἡμῖν λέγε, μηδὲν παραλίπῃς»
«Nous te le demandons, commence depuis le commencement,
dis-nous tout, et surtout, n’oublie rien!»
Escola, Marc et Bouvier, David
Chariton d’Aphrodise (1er s. apr. J.-C.) avait-il un plan en tête lorsqu’il a commencé à écrire le Roman de Chairéas et Callirhoé? Poser cette question, c’est cesser d’envisager le récit comme un tout achevé préalablement à l’écriture pour le voir plutôt comme un processus linéaire et dynamique. Partant, il faut élaborer un outillage théorique souple afin de décrire ce système textuel ouvert. Mon travail s’inscrit dans le champ d’étude de la théorie des textes possibles.
Le premier chapitre rappelle que tout texte est discontinu. Le deuxième chapitre montre l’instabilité de la notion théorique de narrateur. Le troisième chapitre est un nouveau répertoire de figures poétiques. Il distingue (1) figures d’écriture, forces vectorielles qui propulsent, font durer ou closent la narration, (2) figures de suture, qui opèrent les liaisons entre les structures du récit et (3) figures de réécriture, curieux cas de résumés du roman dans (et par) le roman, où affleurent les deux poétiques du récit dont j’ai fait le pari.
Lire des parties de ce travail: «Un curieux cas de zigzag narratif», Poétique 177 (2015), p.83-94, URL: www.cairn.info/revue-poetique-2015-1-page-83.htm; «Possibles amours. Lire comme si l’on écrivait», Atelier de théorie littéraire de Fabula (2015), URL: www.fabula.org/atelier.php?Possibles_amours.
« Se je ne fais une dame nouvelle » de l’amour courtois chez Charles d’Orléans
Mühlethaler, Jean-Claude
Quelle utilisation Charles d’Orléans fait-il de la tradition courtoise dans son recueil français après la mort de la dame ? Le recueil anglais, qu’il a rédigé pendant son exil (1415-1440), présente-il la même utilisation ? La mort de la dame entraîne diverses attitudes du moi lyrique face à l’amour courtois. Charles d’Orléans s’inscrit parfois dans le prolongement de l’héritage courtois, notamment à travers l’éloge de la dame qu’il poursuit après sa mort. Il fait aussi preuve d’une attitude plus ludique en exposant des manières contradictoires de réagir face à la perte de la dame, prônant tour à tour la fidélité absolue ou l’oubli. Finalement, l’imagerie courtoise est utilisée pour critiquer la société curiale de l’époque. Dans les grandes lignes, le recueil anglais fait écho au français en présentant des attitudes similaires tout en accentuant, au niveau du détail, le respect de la tradition courtoise. Ce travail ouvre des pistes pour de futures études sur le prince-poète, notamment la paternité du texte anglais et le rôle qu’occupe la deuxième histoire d’amour, placée sous le règne de Vénus (qui se substitue à Cupidon) dans le texte anglais et absente du recueil français qui, à l’époque dite « de Blois », prend ses distances avec le modèle courtois. Le public anglais serait-il plus attaché à l’héritage littéraire que le public français ?