La mort d’un enfant a ceci d’inacceptable qu’elle rompt le fil naturel du temps. C’est de cette rupture que Philippe Forest entreprend l’écriture de ses romans, ouvrant avec L’enfant éternel (1997) une œuvre qui, comme pour répondre à l’insupportable disparition de sa fille, s’émancipe de la linéarité mortifère du temps et s’affranchit de l’obligation de finir. Le parcours proposé dans ce travail envisage l’œuvre romanesque de Forest selon un élargissement progressif de la focale conduisant de l’analyse microtextuelle des temps verbaux à la relation qu’entretient l’ensemble de l’œuvre avec le temps, en passant par les différentes fonctions qu’endosse la fin de chaque roman. Ainsi, la réflexion puise son inspiration tant chez Benveniste et Weinrich – pour leurs postulats sur les effets des temps verbaux – que chez Rousseau et Kierkegaard – pour leur conception d’une temporalité cyclique. Chez Christophe Pradeau ou encore Jacques Roubaud, nous cherchons à dégager, pour mieux les identifier dans l’œuvre qui nous intéresse, les paramètres temporels propres au genre romanesque, toujours dans le but de démontrer la vocation de ce qu’on pourrait appeler, à la manière de Forest : le roman éternel.
L’éducation libertine : mise en place d’un dispositif éducatif dans l’œuvre du marquis de Sade
Caraion, Marta
Ce mémoire s’intéresse à la présence récurrente de l’éducation dans l’œuvre de Donatien Alphonse François de Sade, plus connu sous le nom de marquis de Sade, né en 1740 et décédé en 1814. Dans chaque ouvrage, il est question de la transmission d’un certain savoir-être et d’un savoir-faire qui s’adressent à un élève, principalement de sexe féminin, encore vierge au sens propre comme au sens figuré, et qui se voit confié, bon gré mal gré, à un ou plusieurs enseignants libertins. Ces derniers sont fortement disposés à leur inculquer les idées relatives au libertinage et au mode de vie qui l’accompagne. Entre immoralisme et débauche, l’enseignement profané par les libertins incite à culbuter les principes moraux et religieux. Dès lors, l’éducation s’annonce, pour Sade, moins comme une simple méthode d’instruction que comme une véritable stratégie de propagande visant à rallier le plus d’individus possible afin d’en faire d’indéfectibles partisans du libertinage.
Réécritures d’un Enchanteur au XXIe siècle :
Merlin dans la littérature de jeunesse
Wahlen, Barbara
Objet de fascination depuis le Moyen-Âge, le personnage de Merlin traverse les siècles et se rencontre aujourd’hui encore dans de nombreux médias, à la destination d’un public varié. Inspirant de nombreux récits pour enfants notamment, l’Enchanteur devient une entité accessible dès le plus jeune âge. Loin de constituer une figure immuable aux propriétés rigides, Merlin se décline actuellement en une infinité de nuances. Sa qualité protéiforme s’affirme et se conjugue ainsi au caractère plurigénérique de la littérature de jeunesse. À travers une étude de cas composée d’ouvrages contemporains, je propose de mettre en exergue diverses reconfigurations opérées par les auteurs et illustrateurs pour la jeunesse. Il s’agira de montrer que la pratique transfictionnelle ne détériore pas la figure merlinienne, mais l’adapte en fonction des projets narratifs et des destinataires. Le travail s’intéresse autant à l’aspect matériel du support, en analysant les données paratextuelles et iconographiques ; qu’à l’aspect textuel de la légende merlinienne, en considérant les réécritures d’épisodes et de motifs médiévaux ainsi que les ajouts inédits.
Quand Zermatten écrit à Ramuz : père, pair ou repère identitaire ?
Meizoz, Jérôme
De 1934 à 1946, Maurice Zermatten (1910-2001) et Charles Ferdinand Ramuz (1878-1947) échangent plus d’une centaine de lettres. En sus de l’admiration d’un jeune auteur pour son aîné, on y lit aussi une amitié littéraire réciproque qui s’approfondit au fil des années ; significativement, de « cher Monsieur », l’apostrophe se transforme en « cher ami ». Sur la base de la correspondance, ce mémoire interroge la réduction historiographique de Zermatten à un pâle émule de Ramuz. Sur la base d’une édition complète des lettres, il caractérise la relation entre les deux hommes, telle qu’elle apparaît dans la correspondance, puis réévalue la poétique et les postures de Zermatten écrivain au prisme de celles de Ramuz. Enfin, il montre comment le jeune auteur, après la mort de son aîné, fait de ce dernier un écrivain valaisan, et légitime par là l’autonomie culturelle de son canton d’origine, tout en le dotant d’institutions et d’un réseau d’écrivains (avec Maurice Chappaz, Corinna Bille, Marcel Michelet…). En mettant en exergue « les façons de concevoir et d’aborder l’examen des interactions entre individus et sociétés, privé et public, autonomie et contraintes » , ce travail s’inscrit donc dans la perspective des études de réseaux initiées par Michel Lacroix, et éclaire la construction puis la fragmentation du champ littéraire romand à partir de 1950, de même que la position singulière de Maurice Zermatten dans ce dernier.
Le Paradis peut encore être sauvé. Maurice Chappaz et la défense de l'environnement
Maggetti, Jérôme
Ce mémoire se veut une approche historique de la défense du bois de Finges, en Valais, par l'écrivain Maurice Chappaz. Après une première partie qui reconstitue la chronologie du premier engagement civique du poète valaisan, ce travail cherche à mettre en évidence les liens tissés entre l'action sur le terrain de la lutte pour la protection de la nature et l'activité poétique.
L’humour représente une valeur cardinale de la société contemporaine. Dès les années quatre-vingt, une nouvelle génération chez Minuit produit des textes humoristiques. Toutefois, comment appréhender cet humour Minuit à travers la diversité des approches ? Dans un premier temps, ce travail vise à distinguer l’humour du comique de la satire et de l’ironie en insistant sur l’ambivalence entre une tonalité pathétique et comique de l’humour. Puis, le second chapitre interroge la relation de connivence qui se crée entre le lecteur et le texte humoristique de Minuit à la fois dans le détachement et l’empathie. Enfin, on a parfois reproché aux écrivains de Minuit leur désengagement cependant, l’humour, dans sa capacité à décrédibiliser le discours sérieux, engage certaines valeurs en accord avec l’histoire des Éditions de Minuit.
La construction d'une figure d'auteur empathique dans les récits biographiques d'Emmanuel Carrère (1990-2016)
Rodriguez, Antonio
Au tournant du XXIe siècle, Emmanuel Carrère a souvent été présenté comme un auteur empathique par la critique littéraire. Cette dernière paraît pourtant montrer un signe de faiblesse - une brèche dans laquelle nous n'avons pas manqué de nous engouffrer. À force de grandes généralités et de longues entrées en "matière", qui prennent le pas sur l'analyse de la "manière", elle semble être passée à côté de ce qui apparaît pourtant comme la particularité d'un écrivain, dont les signes positifs de sympathie ont certes donné lieu à une abondante littérature, mais qui propose finalement assez peu d'explications de texte, préférant la longue-vue à la loupe, en partie parce que de tels signes se perçoivent encore moins facilement que ceux, plus négatifs, d'antipathie. Passés, eux, totalement inaperçus, ils sont ici étudiés tout aussi attentivement, afin de mieux comprendre pourquoi l'édification empathique, cette élaboration - avec ses contradictions - se double, chez l'écrivain, d'une construction antipathique.
"L'opinion", protagoniste principal de "Delphine" de Germaine de Staël et maîtresse du destin des personnages
Rosset, François
"Ayant une importance considérable dans la société du XVIIIème siècle, l’opinion, comme l’affirme Necker, est un « tribunal » qui juge les faits et gestes des hommes. Cette thématique occupe une large place dans l’œuvre de Germaine de Staël. Dans le cadre de notre travail, nous avons choisi de nous arrêter sur Delphine (1802), afin d’étudier comment De Staël traite de l’opinion. Dans ce roman, celle-ci peut se définir de différentes manières et revêtir plusieurs formes. En effet, elle peut représenter la société en général, faite de lois, de valeurs et d’une moralité censées régir les faits et gestes de chacun, mais elle peut aussi être incarnée par des personnages particuliers. Définissant tout d’abord le terme « opinion » nous avons ensuite établi un bref panorama de l’opinion au XVIIIème siècle. Dans une deuxième partie, nous avons établi la liste des différentes opinions présentes dans ce roman. Le sujet de l’opinion des personnages, de son rôle au quotidien a été développé, puis la thématique de l’opinion politique. Dans un contexte révolutionnaire, troublé, quelles sont les opinions en présence ? La question de l’opinion religieuse a aussi été prise en considération. La dernière thématique abordée dans le mémoire concerne la condition féminine. Ce thème associé à celui de l’opinion, nous avons observé quelles étaient les conséquences de celle-ci sur la vie des femmes. La dernière partie du mémoire adopte un angle plus large en examinant la position de l’auteur, Germaine de Staël et montre que Delphine peut être considéré comme un discours d’idées, voire un roman d’idées. Après l’étude de ces diverses facettes de l’opinion, nous répondons à la question principale du travail qui est : peut-on considérer l’opinion comme le personnage principal de Delphine ?"
Quand un cours identique devient différent. Analyse d'une séquence en classe aux 3èmes année niveau II et 2èmes année niveau I en Valais
Burger, Marcel
« J’lis tout ? ». « Madame, je lis dans le bon ordre ? ». Ces interventions proviennent d’élèves de classes différentes. Que signifie cet écart entre les deux types de réponses ?
Le corpus étudié est un ensemble de dix périodes de cours filmées par mes soins dans des classes de français d’un établissement du secondaire I en Valais. En me focalisant sur deux de ces périodes dans ce travail de Mémoire, je vais analyser la façon dont un cours sur une matière semblable donné par une enseignante à deux classes distinctes devient finalement différent. Les 3èmes niveau II et les 2èmes niveau I possèdent des livres et un plan d’études semblables et pourtant nous pourrons constater au terme de ce travail que le cours ne se déroule pas de la même manière en fonction des publics d’élèves.
Se situant entre le domaine linguistique et communicationnel, mon sujet s’intéresse à la manière dont les rapports de faces et places, et principalement la place dite subjective, sont négociés entre l’enseignante et les élèves dans les deux périodes. Pour ce faire, je vais me concentrer pour chacune d’entre elles sur deux moments d’interaction : l’arrivée en classe et le début du cours.
(R)écrire les mythes sous l'oppression. Poétiques croisées de Yannis Ritsos et de Sándor Weöres
Heidmann, Ute
"Le poète grec Yannis Ritsos (1909-1990) et le poète hongrois Sándor Weöres (1913-1989) ont tous les deux (r)écrit les mythes grecs, mais dans des contextes culturels et politiques différents. Leurs (re)configurations des ἀρχαῖα ont été développées face à la censure sous la dictature des colonels dans le cas de Ritsos et sous le régime communiste dans le cas de Weöres. ""A Orphée"" (""Στὸν Ὀρφέα"") composé en grec et ""Orpheus"" écrit en hongrois se distinguent par leur manière de mettre en scène la voix du poète. ""La toison d’or"" (""Τὸ χρυσόμαλλο δέρας"") et ""Medeia"" divergent par leurs formes énonciatives. ""Perséphone"" (""Περσεφόνη"") et ""Eros pleurant Perséphone"" (""Persephonét sirató Eros"") sont deux (re)configurations génériques très distinctes.
A l’aide de la méthode de la « comparaison différentielle » proposée par Ute Heidmann, ce travail cherche à mettre en évidence les singularités de chaque (re)configuration. L’étude des modalités de l’énonciation et de textualisation, de l’inscription générique, des dialogismes intertextuel et interdiscursif révèle les nombreux effets de sens créés par les vieilles histoires d’Orphée, de Médée et de Perséphone. Les voix poétiques finissent par se croiser autour du mythe polyphonique de Tirésias.
La lecture proche du texte et la traduction de travail permettent de montrer par les détails que les deux poètes détournent la censure par les subtilités dissimulées dans la langue. Les particularités de leurs mises en discours s’élèvent face à la voix unique du pouvoir. Dès lors, l’acte d’écriture apparaît comme une forme de résistance pour les deux poètes."
"France's best-kept secret" : Analyse pragmatique et linguistique des traductions anglaises de San-Antonio
Philippe, Gilles
Narrée dans une prose argotique et inventive, la Série des San-Antonio doit une partie de son succès à sa forte dimension communicationnelle, dans laquelle le narrateur s’adresse constamment à un lecteur complice auquel les romans sont explicitement destinés. Cultivant un lien de connivence avec ce partenaire, San- Antonio le sollicite notamment pour le déchiffrement des innombrables clins d’œil et jeux de mots dont il use et abuse. San-Antonio puise dans la culture française nombre de références qu’il suppose partagées avec son lecteur et les détourne à des fins ludiques dans le but de renforcer le sentiment d’appartenance à une communauté « d’initiés ». Ces derniers partagent non seulement le même goût pour les bons mots, mais aussi la même culture, ce qui tend à les rapprocher et à faire fructifier le dialogue qui s’établit par l’intermédiaire du texte. Nous aborderons en conséquence les romans de la Série du point de vue de la linguistique pragmatique afin d’analyser certains des éléments textuels qui encouragent ce dialogue, avant de nous intéresser au devenir de ces éléments durant le processus de traduction en anglais. Confrontés aux obstacles que représentent les éléments mentionnés ci-dessus pour un lecteur anglophone qui ne baignerait pas dans la culture et la langue françaises, les traducteurs se voient contraints d’adapter les éléments moteurs de la communication textuelle du français pour tenter de préserver le lien entre les narrateur et lecteur désormais anglophones. Nous comparerons trois romans français et leurs traductions respectives, chacune d’un traducteur différent, en nous focalisant sur trois « observables » jugés représentatifs des procédés communicationnels employés par le narrateur français. Il s’agira alors de montrer que, malgré toutes les méthodes à leur disposition, les traducteurs se heurtent bien souvent aux limites d’un contenu latent qui ne connaît pas d’équivalent direct en anglais, mais nécessite généralement une totale recréation.
Lancelot, un héros pour la jeunesse ? Étude du cycle Graal de Christian de Montella
Wahlen, Barbara
En tant que plus grand chevalier de la cour arthurienne et amant adultère de la reine Guenièvre, Lancelot possède dès son origine littéraire médiévale une nature duale. Lorsque des écrivains modernes se risquent à adapter son histoire pour la jeunesse actuelle, ils se trouvent face à un dilemme : sachant que le genre « jeunesse » comporte un certain nombre de contraintes et de règles morales à respecter, les amours de Lancelot et Guenièvre sont le plus souvent passées sous silence ou condamnées. Christian de Montella, auteur de Graal et écrivain pour la jeunesse, n’hésite pourtant pas à aborder dans ses romans pour adolescents des thématiques aussi sombres que l’inceste ou l’adultère. Connaisseur des œuvres originales médiévales, Montella nous offre une réécriture personnelle et psychologiquement développée de l'histoire de Lancelot, en donnant à la quête du Graal une toute nouvelle signification…
« Celui qui n'est pas avec moi est contre moi » : pour une typologie de la conversion chrétienne, de la matière de France à la matière de Bretagne
Wahlen, Barbara
Les études sur les thèmes religieux abondent, notamment lorsqu'il s'agit de littérature médiévale. Toutefois, l'analyse davantage détaillée du motif de la conversion demeure plus rare. Nous nous proposons ici d'en établir une typologie dans deux genres littéraires majeurs que sont les chansons de geste et les romans arthuriens du Graal. Le premier s'avère intéressant principalement en raison de la forte empreinte de l'aphorisme crois ou meurs, alors que nous retrouvons dans le second le mythe salutaire du Graal. Deux visions particulières qui rendent ces genres dignes d'intérêt. Après une analyse de cas précise, nous mettrons en évidence les ressemblances et dissemblances observées et nous nous interrogerons sur l'impact qu'elles peuvent avoir sur les auditeurs et lecteurs de ces récits.
"Ce travail s'inscrit à la fois en linguistique et en dramaturgie. Il a en effet pour objet d'étude le Théâtre de l'Arsenic. Fondé à Lausanne en 1989, le Centre d'art scénique contemporain - très tôt baptisé Arsenic - s'inscrit de manière marginale dans le paysage théâtral lausannois: lieu de création, il accueille des troupes en résidence leur donnant le moyen d'expérimenter différentes sortes d'expression scénique. Malgré un changement de statut juridique qui le pousse à devenir, en plus d’un théâtre de résidence, un théâtre d'accueil, l'Arsenic conserve son identité de théâtre marginal. Il le fait en proposant une programmation pointue et exigeante mais surtout en jouant sur cette caractéristique dans ses canaux de communication. Ces derniers ont une visée double: la construction identitaire ainsi que la promotion de l'institution envers un public-cible. Après avoir relevé la veine humoristique adoptée par l'Arsenic en passant en revue les différents programmes version papier publiés de 1990 à 2015, il s'agira d'analyser la construction identitaire de l'Arsenic ainsi que sa manière de promouvoir sa programmation en considérant essentiellement le programme papier de la saison 2015-2016. Provocante et élitiste pour certains, drôle et marginale pour d'autres, l'image diffusée par l'Arsenic dans l'espace public divise.
D’Hélène à Lilith : Échos mythiques et figures de femmes étrangères en Suisse romande (1891-1906)
Maggetti, Daniel
Cette contribution s’intéresse à la figure de la femme étrangère telle qu’elle apparaît en Suisse romande au tournant du XXe siècle. Se situant à la croisée des discours sur la Femme et sur l’Etranger, cette figure est l’objet de nombreuses projections, à une époque caractérisée d’une part par le décloisonnement progressif des femmes, et d’autre part par une augmentation marquée de l’immigration. Ces mutations socioculturelles génèrent de fortes angoisses, qui se traduisent notamment par une mise en crise de l’imagerie traditionnelle associée à la femme : dès la seconde moitié du XIXe siècle, l’« Ange sous forme humaine » des romantiques laisse de plus souvent la place à des figures féminines démoniaques, surérotisées et mortifères. En Suisse romande, les écrivains – qui doivent composer avec la rigidité du champ littéraire et se montrent solidaires du champ du pouvoir tentant de préserver l’ordre social – ont alors tendance à faire cohabiter, au sein de l’espace romand, ces deux imaginaires antinomiques en associant la femme indigène à l’Ange, et la femme étrangère au Démon. Pour étudier la représentation de la femme étrangère dans ce contexte polarisé et fortement idéologisé, nous avons mobilisé principalement trois romans publiés entre 1891 et 1906 : Ægyptiacque (W. Ritter), Luisita (E. Rod) et Les Circonstances de la vie (C. F. Ramuz). Notre analyse du corpus s’inspire d’une démarche mythocritique telle que l’ont théorisée Gilbert Durand (1979), puis Pierre Brunel (1992). Un parcours au fil des évocations mythiques attachées aux différents personnages a permis de mettre en évidence le lien récurrent entre la figure de la femme étrangère et le mythe plus global de la femme fatale, auquel se rattachent la totalité des échos mythiques relevés. Que le personnage soit présenté comme un monstre de cruauté (Ægyptiacque et Les Circonstances de la vie) ou au contraire comme une incarnation de la naïveté (Luisita) n’y change rien : passives Hélène qui génèrent la mort à leur insu ou malignes Lorelei qui tendent volontairement aux hommes des pièges mortels, les femmes étrangères qui font irruption dans le paisible univers suisse romand du tournant du XXe siècle sont forcément funestes, cristallisant ainsi les angoisses d'une époque. Héritières de Lilith plus que d’Ève en ce que qu’elles apparaissent comme radicalement et irrémédiablement « autres », ces figures de femmes incarnent la puissance d’un Éternel féminin indomptable et archaïque, fruits d’une altérité doublement comminatoire en tant que femmes d’une part, et en tant qu’étrangères de l’autre.
Le polar hors-la-loi ? René Beletto et la question générique
Rodriguez, Antonio
"Publié depuis 1974 par POL, René Belletto fait, depuis un certain temps déjà, figure d’inclassable dans le panorama littéraire français. Son oeuvre se compose de formes d’écriture variées, allant du poème à l’essai en passant par l’aphorisme. Sa production strictement romanesque laisse la critique indécise quant à son affiliation générique : souvent qualifiés de « faux polars » ou encore de « romans policiers littéraires », les textes de Belletto - tout en exploitant les codes bien précis du roman noir - s’éloignent effectivement des traditionnels romans de gare.
Se détachant d’un rapport au genre purement taxinomique ou axiologique, ce mémoire questionne la pertinence des classifications littéraires en analysant, au sein des textes, les causes de cette indétermination. Il s’agit également de proposer un éclairage nouveau sur un auteur aujourd’hui quelque peu délaissé par la critique littéraire."
De l’allégorie à la fantasmagorie. Des voix homodiégétiques pour énoncer les troubles mentaux dans deux romans francophones sénégalais : Le chant des ténèbres de F. D. Sène (1997) et La Maison des épices de N. D. Diouf (2014)
Le Quellec Cottier, Christine
Si la folie est un motif récurrent dans la littérature francophone africaine depuis ses débuts, il n’en est pas de même pour celui du trouble mental. Pour les écrivains de la première génération, la figure du fou servait entièrement à dénoncer les tares d’une société en prise avec des problématiques (post)coloniales. Dans les deux romans contemporains que ce travail propose d’étudier, Le chant des ténèbres (1997) de Fama Diagne Sène, d’une part, et La Maison des épices (2014) de Nafissatou Dia Diouf d’autre part, le texte de fiction permet au contraire de relater une expérience intime et atypique – celle du trouble mental, appréhendé selon deux cosmologies différentes – en redonnant la voix aux malades. Ce travail prétend démontrer (grâce à certains outils littéraires tels que l’énonciation, les espaces romanesques, la pause temporelle ou l’intrigue) la manière dont le trouble mental s’étend à l’écriture. En immergeant le lecteur dans le psychisme des personnages, les deux auteures renouvellent ce motif littéraire. De manière inédite, la maladie est énoncée par celui qui en souffre : par ce langage lui-même empreint d’indices pathologiques, le trouble mental se fait visible dans toute sa complexité (diagnostic, prises en charge, traitements « traditionnels » ou modernes, causes) et devient d’autant plus compréhensible.
Un usage progagandiste de la littérature : Georges Oltramar et son Pilori (1923 - 1940)
Maggetti, Daniele
Ce mémoire, composé de deux parties, étudie et contextualise la parution d'une revue satirique, Le Pilori. La première partie étudie son contenu aussi bien sur le plan formel que sur ses fondements idéologiques, tout en approchant certains aspects liés à la sociologie du champ de Pierre Bourdieu. La deuxième partie, quant à elle, s'articule autour d'une période particulière de la vie de son auteur: sa candidature au conseil d'Etat du Canton de Genève.
Le Comte d'Orgel, son Bal et sa Suite : enjeux narratifs et intertextuels
Escola, Marc
De nombreux critiques ont commenté la fin particulière du second et dernier roman de Raymond Radiguet (1903-1923), Le Bal du comte d’Orgel, écrit entre 1922 et 1923. Le roman, achevé, montre une intrigue interrompue, mais qui semble devoir déboucher sur une crise inéluctable qu’il ne nous est pourtant pas donné de « voir ». Quelles en sont les raisons ? Ce dénouement en est-il vraiment un ? Comment Radiguet construit-il son texte pour parvenir à un tel dénouement ? Pour rebondir sur Le Bal du comte d’Orgel Henri Jacoubet (1877-1943), originaire de Toulouse, critique et professeur à la faculté des Lettres à l’Université de Grenoble, n’a pas choisi la voie du commentaire critique traditionnel, mais celle de la « transfictionnalité » : reprenant le fil de l’intrigue de Radiguet, il poursuit, en deux volets, l’histoire du triangle amoureux que forment Anne, Mahaut et François. Comment ces suites allographes s’approprient-elles Le Bal du comte d’Orgel ? Peut-on leur attribuer une valeur critique ? Comment dialoguent-elles à la fois avec le texte d’origine, mais aussi avec l’hypotexte le mieux assumé du roman de Radiguet, La Princesse de Clèves (1678)? Ce sont autant de questions auxquelles ce mémoire se propose de répondre.