‘En la prison de desplaisance’ : Fortune dans les poèmes anglais et français de Charles d’Orléans.
Mühlethaler, Jean-Claude
Ce travail, qui envisage les poèmes anglais (ms British Library Harley 682) et français de Charles d’Orléans comme un seul et même corpus, s’intéresse à la place accordée à Fortune dans les ballades que le prince a écrites durant sa captivité anglaise. Depuis le De consolatione philosophiae de Boèce (VIe siècle après J.-C.), l’expérience de la prison est indissociable de Fortune, déesse de la chance et du destin, qui figure aussi bien les désordres du monde que l’instabilité inhérente à la condition humaine. Alors qu’elle apparaît parfois christianisée, certains auteurs de la fin du Moyen Âge ne la prennent plus au sérieux et l’utilisent pour se faire comprendre d’un public laïc ou pour justifier les erreurs des hommes. Dans les poèmes de Charles d’Orléans, qui offrent peu d’ancrage référentiel, les différentes attitudes du locuteur vis-à-vis de la déesse témoignent de la fragmentation du “je” lyrique et rappellent à quel point la lecture biographique d’un œuvre poétique est délicate. La première partie de ce travail traite des poèmes précédant La Departie d’Amours, de sujet exclusivement amoureux, alors que les poèmes suivant La Departie, qualifiés de “divers propos”, sont étudiés dans la deuxième partie. Il apparaît rapidement que la différence principale ne se situe pas entre les poèmes anglais et français, mais entre les poèmes traitant ou non de l’intériorité du locuteur. Les poèmes politiques font, en effet, appel à la volonté des hommes plutôt qu’au pouvoir de Fortune, qui n’est prise au sérieux que dans les poèmes qui traitent du “je” lyrique. La dernière partie du travail traite du lien entre Fortune et création poétique. Pour le locuteur, la déesse est une figure adverse et l’écriture qui en résulte n’aboutit pas à une réflexion sur la nature de cette force hostile, mais sur l’expression du sentiment qu’elle génère. Intériorisée, Fortune représente l’instabilité dont se nourrit le poème et les références au lieu clos figurent tout autant la souffrance du locuteur que le replis nécessaire à l’écriture.
Comment dire l’indicible et formuler l’informulable : les activités de modulation dans des confidences radiophoniques
Durrer, Sylvie
La confidence est une parole qui expose le parleur, d’autant plus lorsqu’elle s’inscrit dans le cadre d’une émission radiophonique qui fait intervenir un/e animateur/trice dans le rôle interactionnel de confident/e, et qui suppose la présence implicite des auditeurs. Ce travail se propose d’appréhender – à travers un corpus de confidences radiophoniques – toutes les formes de précautions et d’atténuations prises par les appelants pour énoncer une réalité difficilement formulable, contourner (consciemment ou pas) des thèmes délicats ou frappés de tabou, ou encore censurer des déclarations trop personnelles ou des sentiments “déplacés”. Par ailleurs, cette étude s’appuie sur le concept de modulation, ébauché par Vion, et qui englobe précisément tous les processus marquant la distance du locuteur face à ses propos et tendant à diminuer la part de subjectivité, et donc de risque que celui-ci peut investir dans l’interaction. Ces modulations relèvent donc du registre de l’euphémisme, des lexicalisations prudentes, des préliminaires, des justifications, des auto-corrections etc. Notre travail se propose d’en dresser un inventaire et d’en analyser les fonctionnements. Autrement dit, comment les contenus de ces confidences sont-ils verbalisés afin de ménager les animateurs et les auditeurs ? Quand rencontre-t-on des activités de modulation et pourquoi ?
Autour du style d’Ahmadou Kourouma. Étude des Soleils des Indépendances.
Noël, Mireille
Ahmadou Kourouma est l’un des écrivains les plus en vogue de l’Afrique de l’Ouest. Son succès actuel doit beaucoup aux particularités et à l’originalité de sa langue qui, dans un premier temps, a choqué et a été rejetée. Ahmadou Kourouma remodèle l’écriture académique française. Son style est imprégné de la culture malinké dans laquelle il a grandi et du français qu’on lui a enseigné à l’école. Il est aussi marqué par le français ivoirien et enfin par ses études supérieures menées en Afrique puis en France, ce qui explique le caractère bigarré de son écriture. Mais, cela ne suffit pas à expliquer son style : Ahmadou Kourouma s’en prend au français académique. Il viole le code normatif du langage et instaure ainsi un langage nouveau, totalement décomplexé. Il prouve qu’il peut s’exprimer autrement et montre de ce fait son désir de se libérer du carcan occidental et d’affirmer son identité propre.
Reprises du mythe d’Orphée et d’Eurydice au XXe siècle : étude comparative de La Nouvelle Eurydice de Marguerite Yourcenar et de poèmes de Margaret Atwood, H.D., Ellen Bryant Voigt et Alta
Heidmann, Ute
Ce travail examine et compare plusieurs textes de langues française et anglaise qui s’inspirent du mythe d’Orphée et d’Eurydice : La Nouvelle Eurydice, roman de Marguerite Yourcenar, et plusieurs poèmes de langue anglaise, à savoir « Orpheus » et « Eurydice » de Margaret Atwood, « Eurydice » de H.D., « Eurydice » d’Ellen Bryant Voigt et « eurydice » d’Alta. De manière plus précise, cette étude cherche à analyser, par les critères de comparaison retenus (énonciation et style), les visées de ces reprises du mythe qui construisent à chaque fois des significations nouvelles.
André Gladès (1867-1906), une vie entre sacrifice et révolte
Maggetti, Daniele
Ce mémoire repose d’une part sur des recherches biographiques et bibliographiques destinées à mieux cerner la trajectoire d’une femme écrivain peu connue, et propose d’autre part une lecture thématique de son œuvre. Nancy Vuille est née le 25 novembre 1867 à Neuchâtel, au sein d’une famille aisée. Elle déménage à Genève vers 1872, son père y ayant fondé une importante brasserie. Après sa scolarité et trois années de pensionnat en Allemagne et en Angleterre, elle suit à l’Université de Genève les cours d’Edouard Rod, auquel la liera une relation ambiguë. En 1893, elle s’installe à Paris avec son père. Dégagée des nécessités financières grâce à la fortune de celui-ci, elle n’a pas besoin de travailler pour vivre : son activité littéraire échappe donc partiellement aux contraintes qui pèsent sur la plupart des auteures de cette époque. Elle commence à publier grâce au soutien de Rod et de Louis Debarge, sous le pseudonyme d’André Gladès, et ne balise pas les domaines « féminins » que sont la littérature enfantine, populaire ou édifiante. Elle est l’auteure de nombreuses nouvelles et de trois romans, centrés sur la présentation de parcours féminins que marque le sacrifice. Son originalité réside dans le traitement de cet aspect : loin de la vision protestante et bourgeoise dominante, elle montre que les femmes qui se sacrifient empruntent une voie non rédemptrice et stérile.
La publicité en situation de communication de crise : Définition d’un sous-genre publicitaire de la presse écrite
Adam, Jean-Michel
Cette étude repose sur l’hypothèse que la publicité en situation de communication de crise constitue un sous-genre publicitaire de la presse écrite se distinguant de la publicité promotionnelle « classique » par des propriétés spécifiques. La publicité en situation de communication de crise se caractérise par un discours tout à la fois informatif et persuasif concourant à une finalité unique, c’est-à-dire modifier, voire parfois réhabiliter l’« image » d’une entreprise. Surdéterminé par un contexte d’énonciation particulièrement instable et complexe, ce discours publicitaire se voit soumis à de fortes contraintes : de transparence et de cohérence de l’information d’une part, mais également temporelle – la situation de crise exigeant une communication rapide. Au regard du corpus établi dans le cadre de ce travail et, plus exactement, de la vaste temporalité que ces publicités recouvrent, il conviendrait de distinguer trois sous-genres de publicités en situation de communication de crise classés selon le moment de leur diffusion – en « pré-crise », au moment du pic événementiel ou en « post crise » – et se signalant, dans leurs diverses réalisations, par des variations de forme et de contenu. Analysées tour à tour d’un point de vue énonciatif puis compositionnel, ces publicités en situation de communication de crise laissent néanmoins apparaître quantité de « faisceaux de régularités »1 permettant de définir un noyau prototypique de ce sous-genre publicitaire.
« Coller à son sujet », le style oralisé chez Emile Ajar
Meizoz, Jérôme
La question initiale de ce travail était de savoir si le style étonnant des romans que Romain Gary a signés du nom d’Emile Ajar (Gros-Câlin, La Vie devant soi, Pseudo, L’Angoisse du roi Salomon) relevait du style oralisé. Nous avons pu amener une réponse positive à cette question par l’étude des aspects biographique et formel de cette œuvre. Au niveau biographique, le pseudonymat de Romain Gary est très significatif : il exprime une préoccupation quant à la problématique de l’identité (l’auteur veut changer d’identité car il estime que ses œuvres ne sont pas reconnues à leur juste valeur) et il marque aussi une rupture au niveau stylistique puisque seuls les livres signés Ajar ont ce style particulier. Après une analyse formelle de l’oralité dans ces romans (marques classiques de l’oralité et figures propres à Ajar), nous avons pu constater que les personnages de ces mêmes romans étaient très proches de leur auteur Romain Gary par un aspect important de leur personnalité : leur désocialisation et leur caractère d’exclus. Autant pour l’auteur que pour ses personnages, la solution à cette identité troublée sera la recherche d’un nouveau style : le style oralisé.
Amarreuses, amoureuses, courageuses, ou les femmes martiniquaises dans l’œuvre de Raphaël Confiant.
Reichler, Claude
Ce mémoire se compose de trois chapitres. La première partie esquisse un tableau socio-historique expliquant la condition particulière des femmes antillaises de la période de l’esclavage au XXe siècles. Ce premier chapitre vise à montrer que le colonialisme a éloigné les hommes de leurs responsabilités familiales, faisant de la femme noire le "poteau mitan" de la famille. Le deuxième chapitre permet au lecteur de faire connaissance avec les femmes décrites par R. Confiant dans ses romans. Cette partie donne chair et vie à des personnages féminins forts, battants et responsables. Malgré une approche très physique des femmes de couleur, R. Confiant fait part avec lyrisme de son admiration et de son amour pour ces femmes qui portent leur famille et leur société. Le dernier chapitre recentre l’étude principalement sur deux femmes : Adelise et Lysiane, porteuses des concepts de multiculturalisme, de créolité, de diversalité chers à R. Confiant. Ces deux femmes ont pour rôle d’éveiller les consciences de leur communauté et d’apporter de la nouveauté par une langue en continuel mouvement, symbole de grande liberté et créativité.
Poésie et Guerre. Lecture stylistique de Passage du poète et La Beauté sur la Terre, de C. F. Ramuz
Jakubec, Doris
Dès les balbutiements de son oeuvre et jusqu’au dernier manuscrit, Ramuz a travaillé inlassablement la langue, recherché la forme qui puisse exprimer au mieux sa pensée profonde, sa sensibilité, son rapport original aux êtres et aux choses rencontrés. L’écrivain est un artisan, croyait-il : c’est dans le style que réside son art. Cette conviction, nous l’avons considérée comme un enseignement. Nous avons ainsi été d'abord attentif à un style, à la syntaxe et au rythme d'une langue particulière. Pour les deux romans que nous examinons ici tour à tour, nous avons soumis un court passage à l’analyse, qui formait en lui-même un morceau, un petit tout dans le grand tout que constituait chaque roman. Celui-ci s’est bientôt révélé à l'image de celui-là ; le morceau nous livrait le reflet condensé de l’ensemble. Dans notre page de Passage du Poète, nous montrons ainsi que le passage d’un vannier, figure du poète, a pour effet de rassembler les hommes en les faisant naître à la poésie, de les réconcilier par là avec eux-mêmes, leurs semblables et leur condition. Au contraire, dans La Beauté sur la Terre, le passage d’une jeune femme incarnant la beauté, dans une petite communauté du bord du lac, dresse l’homme contre lui-même, sa condition et son entourage. Voilà donc deux oeuvres qui se font face, l’une de réconciliation, l’autre de séparation. L’homme ramuzien connaît tantôt la plénitude de la poésie, tantôt un état de guerre sans retour. Pourquoi l’un plutôt que l’autre ? De quoi dépend le bonheur de l’homme ramuzien ? En répondant à ces questions au terme de notre parcours, nous donnons quelques vues générales, au delà de nos deux romans, sur l’oeuvre romanesque de Ramuz.
L’anarchisme dans la littérature française (1890-1900)
Kaempfer, Jean
À partir de 1892, le mouvement anarchiste prend une dimension jusqu’alors inconnue en France. Durant deux ans et demi, les bombes et les proclamations tonitruantes terrorisent la population parisienne, victime de la propagande par le fait. Cette série d’attentats anarchistes inaugurée par le fameux Ravachol exerce une influence certaine sur les milieux littéraires de l’époque. Certains écrivains adhèrent alors aux théories du mouvement, d’autres y puisent de nouveaux thèmes romanesques. Ce double intérêt a produit une littérature assez importante au cours de la dernière décennie du dix-neuvième siècle. À travers un choix d’œuvres romanesques et théâtrales regroupant : Le Mystère des Foules et Lettres de Malaisie de Paul Adam, Paris de Zola, Les Mauvais Bergers de Mirbeau, Le Voleur de Darien, Les Kamtchatka de Léon Daudet, L’Ennemi des Lois de Barrès, La Ville de Claudel et Le Soleil des Morts de Mauclair, ce mémoire cherche à mieux cerner les rapports entre anarchisme et littérature et notamment à définir la façon dont le mouvement a été jugé par ces différents écrivains.
Aspects de la subjectivité dans l’Afrique Fantôme de Michel Leiris
Reichler, Claude
L’Afrique Fantôme, publiée en 1934, devait être le journal de route de la première grande mission ethnographique française, la mission Dakar-Djibouti (1931-1933). Jeune dissident surréaliste, Michel Leiris y remplissait la fonction de secrétaire-archiviste ; sa tâche était de tenir un compte-rendu quotidien éclairant le contexte du voyage, en marge de l’activité scientifique. Mais l’auteur dépasse vite ce cadre strict et se permet d’introduire dans son texte la vision de l’observateur, contredisant par là les prétentions d’objectivité de la discipline ethnographique. Dès lors Leiris, mû par une volonté d’exhaustivité et d’authenticité, laisse libre cours à sa propre subjectivité et exprime tout, sans fard ni complaisance – ses joies, ses peines, ses réflexions intimes, ses frustrations, son malaise, sa déception, sa culpabilité. Le but de ce travail est de proposer une lecture particulière de cet important ouvrage, articulée autour de la notion de subjectivité (prise comme la primauté des états de conscience de l’auteur dans le contexte et le cadre conceptuel de la mission). Permettant d’appréhender la complexité de la personnalité et de la vision du monde de Leiris, cette démarche permet aussi de considérer différents axes de sa réflexion, comme l’ethnographie, le colonialisme, l’introspection, les domaines du sacré et de l’inconscient : autant d’éléments qui préfigurent l’intense activité autobiographique que mènera depuis lors – pour le restant de ses jours – Michel Leiris, notamment avec l’Age d’Homme et la Règle du Jeu.
Le Cuer d’amours espris de René d’Anjou, entre texte et image.L’exemplaire du Livre du Cuer d’amours espris de René d’Anjou, homme de lettres et mécène, de la Bibliothèque nationale de Vienne, le Codex Vindobonensis 2597, est orné de seize enluminures capitales pour l’histoire de l’art. Ces enluminures sont attribuées au peintre Barthélemy d’Eyck, artiste proche du roi René, qui restera à son service pendant une vingtaine d’années. Ce roman allégorique puise sa matière dans le Roman de la Rose et les récits arthuriens. Ecrit sous forme de songe allégorique, il raconte l’histoire d’un anti-héros, le chevalier Cuer, qui part à la conquête de Douce Merci, guidé par Désir. René déconstruit ses sources par la dérision et l’humour. Nous donnant une clé de lecture mélancolique, traduire par l’usage des clairs-obscurs tant dans le texte que dans les enluminures, il va ensuite ridiculiser son héros en insistant sur sa corporalité. Le peintre du manuscrit, en étroite connivence avec le texte, l’illustre notamment par le comportement comique des chevaux et d’autres détails « réalistes ». Peintre et écrivain ont laissé une œuvre cohérente, où l’enluminure dépasse la simple ornementation et donne son interprétation des aventures de Cuer.
Jeanne d’Arc instrument du FN. Analyse du discours de J.-M. Le Pen, le 1er mai 2002
Adam, Jean-Michel
Par une approche à la fois historique et linguistique, il s’agit de comprendre les causes et les buts de la célébration de la figure de Jeanne d’Arc par le leader du Front National. Outre la dimension traditionnelle de cette célébration, ainsi que l’aspect symbolique de ce personnage historique, je me propose d’observer de plus près le discours du 1er mai 2002, au travers d’une analyse se basant sur les principes de la linguistique et de la rhétorique. Cette date étant une date charnière entre les deux tours des élections présidentielles, Le Pen, élu au premier tour, célèbre-t-il la Pucelle pour ce qu’elle est réellement, ou l’instrumentalise-t-il en faisant d’elle un argument de son discours, dont l’unique but est de convaincre son auditoire de voter pour lui ? Et s’il y a bien instrumentalisation de la figure de Jeanne d’Arc, quelles sont les stratégies argumentatives qui le permettent ? Voici les questions principales auxquelles je tente d’apporter une réponse.
La fin du monde dans les romans de science-fiction de René Barjavel
Chaperon, Danielle
Au XXe siècle, dans un monde en constant changement, l’homme perd ses repères. La vitesse à laquelle les choses évoluent est vertigineuse, et le choc des deux guerres mondiales contribue à l’émergence d’une angoisse de l’avenir. Au vu des deux grands totalitarismes qui ont occupé le siècle, le communisme et l’hitlérisme, le futur n’est plus prometteur, au contraire, il est inquiétant. La foi dans le progrès scientifique et social s’est transformée en en une peur de l’accident, et en particulier de "l’accident intégral". Le travail étudie la problématique de la fin du monde dans les romans de science-fiction de René Barjavel (1911-1985), écrivain qui a traversé le siècle. Oscillant entre optimisme et fatalisme, l’auteur explore par le roman les rouages des sociétés modernes en les projetant dans un avenir plus ou moins proche. Il s’intéresse au sort de l’humanité et discute de ses chances de survivre à une apocalypse aussi inévitable qu’imprévisible dans les formes qu’elle pourra prendre.
L’homme révélé d’après les concepts de dualité et d’unité dans Le Village dans la montagne de Ramuz.
Cordonier, Noël
Par son regard sur des montagnes presque éternelles bien que jamais véritablement connues, Ramuz, dans Le Village dans la montagne, pressent et cherche à saisir l’homme, dans sa fragilité et sa grandeur. Pour suivre l’auteur sur les sentiers alpestres aussi bien que sur ce chemin de découverte, l’analyse s’articule en quatre parties. La première met en exergue la dualité, inscrite dans l’œuvre au niveau du livre, du genre textuel et des thèmes évoqués. Ces diverses dualités favorisent l’image d’un homme à la fois totalement soumis aux lois d’une montagne omnipotente et doté d’une liberté qui réside au cœur d’une action pleinement consentie. S’inscrivant dans le prolongement direct de la dualité, la vie et la mort, constitutives de la deuxième partie de l’analyse, doivent se lire dans leur opposition constante et fondamentale mais également dans leur coexistence nécessaire, préfigurant déjà l’unité de l’œuvre. Celle-ci, objet de la troisième partie, est à rechercher dans le thème majeur des passages continuels et des recommencements éternels, dans l’activité du narrateur qui devient témoin et révélateur de ce combat permanent et de cette vie continuellement créée à nouveau, et dans différents éléments thématiques tels les couleurs, les personnages ou le son des cloches. Dualité, vie et mort, unité, trois axes d’analyse qui permettent alors, dans une quatrième partie, d’appréhender l’homme dans la réalité de sa condition. Condamné par un destin inexorable à souffrir et à mourir, il parvient néanmoins à dépasser sa solitude originelle pour accéder à une communion de cœur et d’esprit avec les êtres et les choses.
Le « fantastique » dans L’Ensorcelée de Barbey d’Aurevilly
Kaempfer, Jean
Si la plupart des écrivains fantastiques du XIXe siècle s’inspirent essentiellement des recherches scientifiques, il n’en va pas de même pour Barbey d’Aurevilly. Contrairement à ses contemporains, pour qui l’essentiel est le rapport que l’homme entretient avec lui-même, le fantastique de Barbey est encore tout imprégné des atmosphères et des procédés qui datent du roman gothique et du courant merveilleux. Les lieux isolés comme les cimetières ou les abbayes sombres, le retour de Jéhoël de La Croix-Jugan sous forme de revenant, rappellent les motifs utilisés dans le Moine de Matthew Gregory Lewis ; la sorcellerie, les pâtres et les miroirs magiques font écho aux thèmes, personnages et objets qui caractérisent l’univers de la pastorale. Par ailleurs, ces éléments gothiques et merveilleux prennent place dans un monde, - celui de L’Ensorcelée -, qui est encore fortement influencé et régi par les croyances religieuses. Même si la religion forme également la toile de fond des textes gothiques, elle est exploitée de manière très différente par Barbey d’Aurevilly. En effet, L’Ensorcelée accorde non seulement une grande place à la liturgie, mais aussi aux citations, aux métaphores et comparaisons bibliques qui confondent certains personnages et événements avec ceux de la Bible. Cependant, malgré sa parenté avec d’autres genres littéraires, L’Ensorcelée est profondément « fantastique » dans le sens où les différents phénomènes surnaturels ne sont jamais affirmés ou prouvés, mais évoqués et suggérés à l’aide de figures de style comme la métaphore ou la comparaison. Les instruments du langage sont ainsi les meilleurs alliés de Barbey d’Aurevilly dans la construction de son fantastique « sinistrement et crânement surnaturel ». Barbey d’Aurevilly se situe par conséquent à mi-chemin entre le roman gothique, la pastorale, le liturgique et la Bible. Mais s’il emprunte à ces genres leurs thèmes, personnages et objets, il reste profondément un écrivain « fantastique » dans le sens où le surnaturel et le merveilleux ne sont jamais affirmés mais toujours évoqués grâce aux figures de style.
Allocutions présidentielles en Suisse : l’adresse à une nation vraiment plurielle ?
Durrer, Sylvie
Cette étude se propose d’analyser diverses allocutions présidentielles prononcées à l’occasion du Nouvel An et de la Fête Nationale en Suisse, sur une période allant de 1965 à nos jours. Nous avons porté une attention particulière sur la question des genres et nous avons tenté d’examiner la manière dont ces textes appréhendent la diversité générique de la population, autant dans le public à qui ils s’adressent que dans les sujets qu’ils abordent. Nous avons pu observer, d’une part, qu’un réel effort transparaît de notre corpus pour s’adresser à une population composée d’hommes comme de femmes, et d’autre part, que lorsque l’on s’arrête sur le contenu des discours, ces dernières sont quasiment absentes ; en effet, alors que de nombreux thèmes sont abordés et que diverses personalités sont citées, dans un cas comme dans l’autre les femmes font figure d’exception. Cela nous amène à nous questionner sur les raisons de cette absence dans ce genre d’allocution politique. Accentuer la présence des femmes dans l’instance de réception – par exemple au moyen de formules féminines et masculines – serait-il une manière de masquer le fait qu’elles sont le plus souvent exclues en tant qu’objet du discours ?
Un exemple d’écriture sous contrainte : Etat civil de Michelle Grangaud
Noël, Mireille
A la base d’Etat civil se trouve le projet de l’autrice d’écrire la « biographie de tout le monde ». Cette « biographie » se présente d’une façon pour le moins déstabilisante. On a en effet l’impression que le texte n’est qu’une succession de phrases générales brèves, sans lien les unes avec les autres. On remarque cependant qu’il est possible de lier ensemble certaines de ces phrases, dès lors qu’on cesse de les considérer linéairement et qu’on fait plutôt du texte une lecture tabulaire. Etat civil semble donc être une exploration de la textualité. Michelle Grangaud étant membre de l’Oulipo depuis 1995, on n’est pas surpris d’être en présence d’un texte atypique. Il est en effet composé de différentes strates, constituées d’énoncés écrits selon divers procédés ou contraintes (phrases-photo, collier, bébégaiement, avion, etc.). Il s’agit dans ce travail d’identifier les contraintes, d’expliciter leur(s) fonctions dans Etat civil et de montrer comment elles sont agencées dans le texte. L’analyse d’un passage jugé représentatif de l’ensemble permet de déterminer comment appréhender le texte pour le comprendre, et d’évaluer si le choix de l’autrice d’écrire sous contrainte participe de la production de sens.
Variations discursives des contes. Etude comparative des (trans)textualités de La Barbe bleue de Perrault et de Blaubart, Fitchers Vogel & Das Mordschloss des frères Grimm
Heidmann, Ute
Ce mémoire de DEA en Langues et littératures comparées porte sur des textes français et allemands autour de l’histoire de « La Barbe bleue » et s’inscrit dans le champ de l’analyse comparée des discours. A la différence des démarches folkloristiques et structuralistes, qui recherchent les significations des contes dans la simple occurrence des motifs et des rôles déterminés par une grammaire universelle, cette étude comparative s’intéresse au contraire à relever les significations des contes dans les modalités de leurs mises en discours. Dans sa première partie, ce mémoire de DEA présente une comparaison de La Barbe bleue de Charles Perrault (1697) et de Blaubart des frères Grimm (1812). A partir du concept d’« épisode », elle montre que ces deux textes, dont le second est considéré communément comme l’hypertexte du premier, construisent en fait des significations différentes. Dans sa deuxième partie, il met en évidence les éléments intertextuels et péritextuels de deux autres contes des Grimm intitulés Fitchers Vogel et Das Mordschloss. Sont jointes à cette étude les traductions inédites des différentes versions de Blaubart, Fitchers Vogel et Das Mordschloss sous forme de versions bilingues.