Entre fée serpente et fée maternelle : Réécritures et métamorphoses de Mélusine en littérature de jeunesse contemporaine.
Wahlen, Barbara
Longtemps restée en marge des productions médiévalisantes pour enfants, la fée Mélusine ne semblait initialement pas pouvoir entrer en littérature de jeunesse. En effet, si cette fée-serpente aussi mystérieuse qu’insaisissable a fait l’objet de nombreuses réécritures depuis son apparition dans les romans médiévaux de Jean d’Arras et de Coudrette au tournant du XVe siècle, son ambivalence intrinsèque, la symbolique négative associée à sa queue de serpent, de même que son histoire tragique parsemée de meurtres n’encourageaient pas a priori une adaptation pour de jeunes lecteurs. Pourtant, la nette augmentation des productions jeunesse à son égard depuis les années 2000 témoigne de l’engouement croissant pour cette fée ambivalente. Dès lors, comment expliquer cet intérêt soudain et plus encore, comment adapter cette figure si singulière pour un jeune public ? En prenant appui sur un corpus de livres contemporains pour enfants âgés entre 4 et 14 ans, notre étude se propose de comprendre l’attrait pour ce personnage en littérature de jeunesse et plus précisément d’analyser les différentes modalités de réécritures mises en œuvre par les auteurs afin d’adapter ce récit pour de jeunes lecteurs. Par la mise au jour des stratégies, tant iconographiques que textuelles, établies par les auteurs modernes, nous découvrirons alors la manière dont le Roman de Mélusine a été actualisé, renouvelé et rendu accessible à un jeune lectorat, de même que les divers réinvestissements de cette fée en littérature de jeunesse.
Le personnage de l'enfant dans deux fictions pour adultes : "La vie devant soi" et "Lignes de faille". Analyse des effets affectifs et intellectuels provoqués sur le lecteur.
Caraion, Marta
L’analyse des jeunes narrateurs de La vie devant soi et Lignes de Faille et des effets qu’ils produisent sur le lecteur adulte met en lumière les procédés à l’œuvre dans la réception de personnages-enfants. Encore peu étudiés hors du contexte de la littérature de jeunesse, ceux-ci appellent la construction de nouveaux outils méthodologiques. L’application comparée de la théorie de l’effet-personnage de Vincent Jouve et celle de la non-fiabilité narrative proposée par Ansgar Nünning révèle une fondamentale intrication des données textuelles et du bagage culturel et littéraire du lecteur. L’imaginaire extratextuel entourant l’enfant, sur sa vulnérabilité et sa nécessaire protection, engendre des mouvements empathiques qui sont confirmés dans le texte par l’exposition de l’intimité des narrateurs. Par ailleurs, le travail formel d’imitation de la langue enfantine fait appel aux compétences du lecteur et à son implication active dans le décodage du texte. Un décalage au niveau des connaissances historiques et linguistiques est également thématisé dans les deux fictions, décalage qui infériorise les jeunes personnages et permet de provoquer le rire du lecteur. Le langage enfantin, tel qu’il est mimétiquement reproduit dans ces fictions permet de concevoir le fonctionnement du texte comme un détournement parodique de la langue « adulte ».
Le théâtre de George Sand, de Nohant à Paris. Analyse et trajectoire de deux pièces du répertoire de Nohant, Le Pavé et Le Drac
Ponzetto, Valentina
Ce travail s’intéresse à la production théâtrale de George Sand, plus particulièrement celle de son théâtre privé de Nohant. Le questionnement mené porte sur la capacité d’évolution d’œuvres de théâtre créées pour un public privé dans un cadre intime. Nous avons donc voulu étudier ce théâtre particulier que représente Nohant, deux des pièces qui font partie de son répertoire et enfin comment et pourquoi ces dernières ont quitté la scène de Nohant pour celles de Paris.
Notre approche a été très analytique dans un premier temps. Nous avons observé la vie du théâtre de Nohant physique et analysé quels moteurs généraient sa constante évolution et comment l’écriture dramatique de George Sand s’inscrivait dans ce processus créatif.
Notre seconde partie est dédiée à l’étude de deux pièces écrites à Nohant, Le Drac et Le Pavé. L’objectif étant d’en montrer les caractéristiques propres à chacune se rapportant au théâtre de Nohant. Nous voulions démontrer le caractère unique et libre que présentent ces pièces, où l’auteur a pu s’exprimer libérée des contraintes inhérentes aux pièces « parisiennes ». Il s’agit donc de relier la création littéraire à son environnement. La dernière étape de notre réflexion a porté sur le processus d’adaptation des deux pièces, de la scène de Nohant à celles de Paris. Nous avons donc orienté notre recherche sur les modifications apportées, leur justification et nous nous sommes interrogés sur les effets de ces dernières sur le texte théâtral, à savoir est-ce que l’œuvre était modifiée au point d’en devenir une autre ou si les changements effectués n’altéraient pas le contenu initial.
Nous avons voulu éclairer une partie trop méconnue de l’œuvre de George Sand et apporter quelques éléments sur l’étude de ces pièces issues du théâtre de société et écrites dans ce cadre si particulier qu’est le Théâtre de Nohant.
Même pas peur ! La figure du loup dans la littérature de jeunesse du XXIe siècle
Wahlen, Barbara
Au début du XXIe siècle, période pendant laquelle l'enfant européen doit, aux yeux de beaucoup d'adultes, être préservé de tout sentiment désagréable, la peur ne trouve plus sa place dans la littérature de jeunesse pour la tranche d’âge de trois à cinq ans. Ce qui inspire de la frayeur est évincé ou détourné afin de rassurer le petit lecteur. C'est le cas pour la figure du loup, l'un des principaux personnages effrayant les enfants depuis de nombreux siècles, à travers les contes ou récits lui réservant toujours la place du Grand Méchant Loup dans une visée éducative. Pourtant, les adaptations actuelles de ces derniers, notamment celui du Petit Chaperon rouge, font souvent de lui un animal ridiculisé voire victimisé pour soulager l'enfant, que ce soit à travers ses représentations iconographique et textuelle ou les activités divertissantes lui étant apposées dans les ouvrages de jeunesse. Contrairement à ce dernier, le personnage comique d’Ysengrin, célèbre protagoniste du Roman de Renart, ne subit que de très modestes transformations dans ses adaptations modernes. Cette différence les opposant s’explique par la forte volonté des auteurs et illustrateurs d’épargner la peur à l’enfant. En effet, plus le loup s’avère effrayant, plus ils ont tendance à lui imposer d'importantes modifications à travers divers procédés contribuant à le dédramatiser. Suite à cette constatation, il a été question d'observer ce qu'il en est du loup d'aujourd'hui, créé au XXIe siècle tout à fait indépendamment des loups des récits passés déjà connus du public. Le Grand Méchant Loup a disparu au profit d'un loup ami de l'enfant, bienveillant et pour le plus souvent sensiblement anthropomorphisé, aussi bien caractériellement que physiquement et matériellement. Ainsi, la peur prohibée a poussé la figure du loup à s’émanciper et à se forger une réputation plus positive que celles des siècles précédents.
Instruire - compiler - refléter. Autour de la posture de la voix narrative dans le Livre du Chevalier de la Tour Landry (1371-72) et le Ritter vom Turn (1493)
Wahlen, Barbara,
Putzo, Christine
Ce travail de master est consacré au "Livre du Chevalier de la Tour Landry pour l’enseignement de ses filles" (1371-72) et à son adaptation en allemand "Der Ritter vom Turn" (1493) par Marquard vom Stein. Il s’agit de deux recueils d’exempla destinés à l’éducation de jeunes filles qui rassemblent et remanient divers récits issus de la tradition biblique et hagiographique, ainsi que divers motifs de la littérature courtoise et des fabliaux. La réflexion se concentre sur l’instance narrative qui joue un rôle central dans les recueils, car elle agence, organise et commente la matière thésaurisée dans une visée moraliste et didactique. L’attention est d’abord portée sur les Prologues préfigurant les recueils. Dans le "Livre", l’énonciateur s’affirme comme le locuteur principal de tout le texte et expose les motivations et buts de la rédaction de l’ouvrage. Ensuite, nous nous intéressons aux procédés de la compilation effectués par l’instance narrative. La structure du Livre oppose les « bonnes » aux « maulvaises » femmes, contribuant à des effets de reflet entre le vice et la vertu. Le Livre repose sur des adaptations et remaniements de diverses auctoritates qui permettent leur actualisation dans l’époque du Chevalier. Le "Ritter vom Turn" suit fidèlement l’hypotexte, mais se permet quelques modifications, comme des ajouts ou suppressions d’exempla. Enfin, à partir des différents portraits féminins élaborés, il s’agit de réfléchir aux interventions de l’instance narrative dans les deux textes. Les commentaires du narrateur exposent une morale en lien étroit avec les divers récits compilés, rapprochant le "Livre" de la prédication, alors que la voix narrative dans le "Ritter vom Turn" est plus effacée, valorisant ainsi la narration. De plus, les interventions de la voix narrative dans les deux textes élaborent, par un processus analogique, une identification entre les lectrices et le texte.
Du cyberpunk aux Furtifs d'Alain Damasio. Conceptions contestataires des récits et leur pertinence pour le monde social
Atallah, Marc
Dans ce travail, nous analysons la manière dont le roman Les Furtifs d’Alain Damasio s’approprie, travaille et se positionne par rapport à certains codes formels et thématiques du courant cyberpunk. À partir de la métaphore du technococon développée par l’auteur, nous montrons comment le texte présente une nouvelle métaphore de l’homme-hybride, à travers laquelle l’humain décuple ses potentiels par l'hybridation à l’Autre et au vivant. Nous discutons les implications de ces propositions formelles en regard de la dimension pragmatique de la SF, que nous faisons dialoguer avec les revendications de certains écrivains autour de leur pratique science-fictionnelle. Ces discours établissant d’une part, un lien entre le texte fictionnel et une forme d'agir dans le monde social et, d’autre part, entre l'écriture et une forme de militantisme, notre propos s'engage à comprendre ces affirmations, notamment grâce aux éclairages théoriques de Paul Ricœur. Ce parcours nous conduit à ouvrir nos réflexions sur la pertinence sociale de l’étude de ces textes et de leurs codes dans le contexte de transition vers la « Suisse numérique » ainsi que dans le travail que s’efforce de faire une certaine frange de la gauche aujourd’hui.
L'Oreille et la Plume. William Ritter, un critique musical suisse au tournant du XXe siècle.
Maggetti, Daniel et Lüthi, Dave
Entre littérature et musicologie, ce mémoire s’attache à l’étude des écrits sur la musique du polygraphe suisse William Ritter (1868-1955). Parcourant l’Europe centrale d’avant les grands cataclysmes, l'original Helvète, qui s’était donné la mission de dénicher avant tout le monde les compositeurs géniaux encore ignorés de la masse - le « gros public », comme il disait -, fait ainsi la connaissance de nombreuses personnalités du monde musical. Sa correspondance révèle l’étendue remarquable de son réseau de relations qui comprend des compositeurs (Anton Bruckner, Gustav Mahler, Richard Strauss, Béla Bartók), mais également des acteurs importants du champ de la critique musicale du début du XXe siècle (Léon Vallas, Camille Mauclair, Lionel de La Laurencie, Henry Gauthier-Villars, Romain Rolland), au rang desquels il faut encore ajouter de nombreux interprètes. À en croire les formules d’adresse, Ritter est écrivain, littérateur, polygraphe, critique d’art et artiste mais aussi ethnographe, musicographe, critique musical et même musicien.Véritable graphomane, il est actif dans de nombreux journaux et revues, dont le prestigieux Mercure de France, se profilant comme une référence pour la musique de Gustave Mahler ainsi que pour toute une série de compositeurs contemporains issus d’Europe centrale, encore peu ou pas connus dans le monde francophone (Bedřich Smetana, Anton Bruckner, Josef Suk, Max Reger, Antonín Dvořák, Leoš Janáček, Vítězslav Novák et d’autres). C’est le profil de ce passionnant personnage que ce mémoire cherche à saisir, en s’appuyant sur de nombreux documents d’archive.
Quand le suicide s’écrit et se lit : perspectives didactiques sur le pouvoir de la littérature et sa dimension expérientielle
Philippe, Gilles
Le suicide est un sujet qui a été maintes fois mobilisé par la littérature à travers les siècles, à tel point que la mort auto-infligée de Phèdre, du jeune Werther ou d’Emma Bovary n’est inconnue de personne. De nos jours encore, la littérature abonde en narrations thématisant le suicide ; elle offre, de fait, un panorama varié de mises en récit du passage à l’acte et de ses conséquences, en renouvelant le fond, la forme et la manière de narrativiser la mort volontaire.
Mais que faire de ces œuvres qui nous rappellent la vulnérabilité de l’être humain, la déchéance de la santé mentale, les difficultés que la vie et la société nous imposent parfois ? Les rangeons-nous dans notre bibliothèque, oubliant leur existence, car elles dérangent, questionnent et donnent de l’importance à un tabou ? Ou, au contraire, choisissons-nous de les utiliser comme des outils pédagogiques qui permettraient de désamorcer des bombes à retardement ? En prenant en considération qu’en Suisse, un·e jeune se donne la mort tous les trois jours environ, nous avons décidé, dans ce mémoire, d’opter pour la seconde proposition.
Ainsi le présent travail s’intéresse-t-il au rôle social et à la dimension expérientielle de la littérature, en cherchant à comprendre, de manière plus spécifique, comment la littérature du suicide peut toucher, intriguer, affecter et passionner le lecteur âgé de quinze à dix-neuf ans. Notre parcours rédactionnel ainsi que les différentes propositions d’exercices didactiques à appliquer en classe de gymnase nous ont permis de comprendre qu’il est important de considérer cette littérature du suicide comme un moyen informatif qui favoriserait, chez le jeune lecteur, la réflexion et le retour sur soi, grâce au développement de sa conscience esthétique et émotionnelle.
Un vent de subversion sur la littérature française du XXe siècle. Louis-Ferdinand Céline et Jean Genet.
Philippe, Gilles
Ce mémoire propose de suivre les traces de deux auteurs subversifs qui ont tenté, par leur œuvre, de renverser les codes littéraires et sociaux de leur époque. Imaginez deux cyniques modernes en vadrouille ; imaginez qu’ils se promènent rageusement et qu’ils accusent le paysage littéraire et social de leur époque. Imaginez-les éclaboussant la boue des ornières et se complaire dans le vil bourbier. Sur le chemin de la coutume et des codes, Genet et Céline, ont tous deux fait un pas de côté ; ils ont fait le choix de la marge, faute de pouvoir aller plus loin.
À travers ce mémoire, nous étudions précisément ces marges qu’ils habitent. Dans la première partie, nous proposons une étude sur la subversion formelle qu’opèrent les deux écrivains, chacun à leur manière. Dans la seconde partie, nous proposons une étude sur les thématiques que Genet et Céline foulent aux pieds. Pour différents qu’ils soient, tous deux ont joué des codes littéraires et sociaux ; tous deux ont choqué par une morale résolument cynique et nihiliste ; mais tous deux ont représenté des changements dans l’âme de leur époque.
Des écrivains en quête de vérité. Quand les écrivains s'approprient un fait divers,
« peut-on encore parler de roman ? »
Philippe, Gilles
Dès les années 1980 se développe une littérature dite factuelle qui marque un tournant dans l'histoire du roman avec un désintérêt pour la fiction au profit du réel et plus précisément du fait divers. Ce travail s'intéresse à la manière dont les écrivains s'approprient des faits divers dans leurs romans et tente de comprendre l'impact qu'a leur écriture sur le lecteur. Il a donc été question de saisir comment ces affaires criminelles font l'objet d'une nouvelle enquête de la part des auteurs, une enquête littéraire cette fois. L’analyse prend ici appui sur le traitement romanesque de trois affaires marquantes : l'affaire Romand reprise dans L'Adversaire d'Emmanuel Carrère (2000), l'affaire Laëtitia Perrais reprise dans Laëtitia ou la fin des hommes d'Ivan Jablonka (2016), ainsi que l'affaire Fritzl reprise dans Claustria de Régis Jauffret (2012). Les auteurs ont eu ici pour ambition de faire savoir tout autant que de faire récit et ont pris pour cela la figure de l'écrivain-enquêteur. Dès lors s'est déployée une méthode interdisciplinaire, qui entremêle tant les sciences sociales, l'histoire, la sociologie, le journalisme que la littérature. Le roman contemporain s'enrichit donc d'autres dispositifs d'écriture, ce qui lui procure une toute nouvelle dimension.
Ce mémoire propose d'étudier la réédition des recueils de fabliaux d’Etienne Barbazan (1756) par Dominique Martin Méon (1808) sous le Premier Empire. Une première partie de l’exposé se concentre sur l’histoire de la réception des fabliaux afin de cerner les enjeux propres à chaque actualisation du genre ; dans un deuxième temps, le mémoire se focalise sur la publication et la structure des recueils de Méon. Cette étude éclaircit le rapport du 19ème siècle naissant aux « contes à rire », particulièrement concernant les enjeux de censure. Finalement, ce travail interroge les rapports que l’université moderne entretient avec des arts peu considérés.
Pe(a)nser l'ambiguïté autour de la figure littéraire de l'enfant-soldat : parcours mémoriel de "l'endo-attachement" à la résilience testimoniale
Le Quellec Cottier, Christine
L’enfant-soldat met en coprésence la victime et le bourreau, statuts théoriquement exclusifs l’un de l’autre. Cette figure de l’ambiguïté provoque une crise de sens au sein des romans d’A. Kourouma Allah n’est pas obligé, J.-C. Derey Les Anges cannibales et L. Miano Les Aubes écarlates. Notre étude n’assoit pas une définition univoque de l’enfant-soldat, défi des historiens et des magistrats. Elle ambitionne à réévaluer l’abscondité de l’ambiguïté dans une approche transversale et universelle en interrelation avec les Jeunesses hitlériennes et les Sonderkommandos. En filigrane de la théorie de l’attachement, elle propose de construire une épistémologie autour des déclinaisons antinomiques afin de repenser cet être de papier sous le prisme heuristique d’une figure créatrice d’avenir. Composées d’énonciateurs-enfants, inféodés à un « endo-attachement », les œuvres renferment des systèmes de signes qui dépassent le langage explicite. Nous décrypterons ce double niveau de lecture qui dissimule une vérité en-deçà du spectacularisme coagulé autour de ce moignon d’homme impe(a)nsé. Nous questionnerons comment les possibles de la fiction d’une part, décloisonnent l’enfant-soldat d’une violence insensée, reliquat ethnocentrique d’une Afrique ontologiquement barbare et, d’autre part, réfléchissent à une nouvelle voix testimoniale protéiforme, panacée d’une Humanité en dérive. Les romanciers, en transformant l’incohérence en œuvre d’art, esquissent l’ambiguïté des insignifiants de l’Histoire comme la projection intelligible des peuples qui, sur le modèle du devoir de violence, s’autoflagellent en refusant de mener un travail de mémoire et d’affronter leurs responsabilités dans les meurtrissures humaines.
Récits de guerre et voix d'enfants : paradoxes éthiques sous le signe du grotesque et de l'ironie. Une lecture de La Route des clameurs d'Ousmane Diarra et d'Allah n'est pas obligé d'Ahmadou Kourouma
Le Quellec Cottier, Christine
Cette étude est consacrée aux récits abordant les guerres civiles d’Afrique subsaharienne à travers la figure de l’enfant-soldat. Parmi l’abondante littérature africaine de langue française dédiée à cette figure, deux romans ont retenu notre attention : La Route des clameurs d’Ousmane Diarra et Allah n’est pas obligé d’Ahmadou Kourouma. La raison de ce choix réside dans le travail formel singulier proposé par les deux auteurs pour approcher la thématique aussi délicate qu’actuelle de l’enfant-soldat. En effet, ces derniers usent intensément de l’ironie et du grotesque afin de confronter ludiquement le lecteur à la présence de l’enfant dans la guerre. Toutefois, la dimension ludique de leurs romans ne possède pas une visée purement esthétique, mais renferme une composante axiologique très forte. À travers l’analyse des procédés stylistiques liés à l’ironie et au grotesque, le but de ce travail est donc de démontrer que dans La Route des clameurs et Allah n’est pas obligé, la jouissance esthétique va de pair avec une réflexion d’ordre éthique.
La critique d'art chez Joris-Karl Huysmans. En quête d'un art total : du paragone des arts à la théorie baudelairienne des correspondances.
Kunz Westerhoff, Dominique
Joris-Karl Huysmans, auteur érudit et marginal de la fin du XIXe siècle, est surtout célèbre pour son roman décadent À Rebours, mais encore mal connu pour sa critique d’art, pourtant d’un intérêt majeur au vu de son innovation esthétique et stylistique. De même, peu de recherches portent sur le rapport aux sens dans ses écrits, alors même qu’il s’agit d’une dimension essentielle de son art poétique. Il suffit pour s’en assurer d’observer la structure d’À Rebours divisée en chapitres centrés autour des sens du héros Des Esseintes. Ce travail a pour projet d’étudier la critique d’art de Huysmans, ainsi que les descriptions de tableaux réels qui se déploient dans ses romans , dans la filiation de la théorie baudelairienne des correspondances. Les références à la polysensorialité, les synesthésies, les analogies et les suggestions y sont abondantes, voire omniprésentes, et il me semble que c’est par ce biais que l’auteur parvient non seulement à faire voir le tableau, mais également à le faire vivre. Huysmans joue également sur l’hybridité des genres littéraires pour subsumer les spécificités médiatiques de chaque art. Il parvient à s’inspirer de l’expérience esthétique du spectateur d’œuvres d’art et à développer une poétique de la suggestion transmédiale, afin de rivaliser avec la peinture, voire de la surpasser, dans le but d’accéder à un art total. L’un des enjeux de ce travail consiste également à inscrire cette critique d’art dans le contexte philosophique, médical et scientifique de la fin-de-siècle, marqué par les recherches psychologiques sur la suggestion motrice, notamment dans l’état d’hypnose. Pour les auteurs symbolistes, « la suggestion est le langage des correspondances » (Charles Morice) ; pour les psychologues (Janet, Ribot, Binet), comme pour le philosophe Bergson, la suggestion mentale relève aussi d’un phénomène de correspondance sensorielle, suscité en particulier par les arts. La réception de l’œuvre d’art génère une créativité motrice dans l’imaginaire. Quand Huysmans fait vivre le tableau décrit, il réagit ainsi à ses contemporains.
Transfuges sociaux : autobiographies et auto-sociobiographies, une écriture littéraire sociologiquement inscrite ?
Meizoz, Jérôme
On appelle « transfuges sociaux » des individus qui transitent d’une classe sociale à une autre. Qu’il s’agisse d’une ascension sociale ou d’un déclassement, les transfuges connaissent une mobilité sociale qui leur permet d’éprouver différents milieux sociaux, souvent contradictoires, auprès desquels ils se construisent. Considérés généralement comme des cas d’exception, les expériences qui découlent de leurs trajectoires atypiques n’ont de cesse d’interroger notre représentation du monde social.
Considérée comme une transfuge de classe, Annie Ernaux explicite sa démarche d’écriture ainsi que sa posture d’écrivaine en émettant l’hypothèse selon laquelle un texte pourrait devenir d’autant plus universel qu’il est personnel. En effet, l’auteure semble dresser, à travers son œuvre, des repères permettant de circonscrire des considérations à la fois génériques et formelles quant à la mise en récit d’une expérience liée à sa condition de transfuge social. Mais aussi d’une expérience intime dans laquelle il est possible de se reconnaître au-delà de la variété et de la particularité des histoires individuelles :
Cependant, comment envisager un tel phénomène ? Que signifie s’écrire en articulant sa vie aux structures sociales qui nous façonnent ? Qu’est-ce que ces types de mise en récit nous disent sur le monde et surtout, quelle valeur accorder à ce type de format ? N’est-ce pas une entreprise trop ambitieuse et indéniablement vouée à l’échec que de prétendre parler aux noms des autres ? Comment le récit d’une personne pourrait-il englober suffisamment d’aspects pour circonscrire un environnement social aussi complexe que le nôtre ? À l’instar des factualistes cherchant à saisir un réel qui s’échappe aussitôt qu’on pense avoir mis le doigt dessus, dans quelle mesure pouvons-nous faire surgir le social contenu dans ce qu’Annie Ernaux nomme le destin individuel ? Quels procédés textuels sont mobilisés afin de rendre compte de cette objectivation du vécu à laquelle se livre le scripteur ? De quelle manière s’opère ce mouvement qui tend à estomper son expérience intime et singulière vers des propriétés plus générales, des processus collectifs, voire sociologiques ? Autrement dit, pour reprendre l’expression d’Isabelle Charpentier, comment concevoir une « écriture littéraire sociologiquement instruite » ?
Afin de répondre à toutes ces interrogations, il s’agira dans ce travail d’observer et d’analyser, au regard de l’œuvre d’Annie Ernaux, différents récits autobiographiques d’auteurs transfuges. Une étude comparative dans laquelle je confronterai les textes de deux sociologues et de deux écrivains : l’Esquisse pour une auto-analyse (2004) de Pierre Bourdieu et Retour à Reims (2009) de Didier Eribon, ainsi que Le Chêne Brûlé (1969) de l’écrivain Gaston Cherpillod et En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Edouard Louis.
Paul Valéry (1871-1945), L’Œuvre et l’Auteur, itinéraire d’une disparition ou « l’effet Bartleby »
Escola, Marc
Ce mémoire intitulé « Paul Valéry (1871-1945), L’Œuvre et l’Auteur, itinéraire d’une disparition ou « l’effet Bartleby » » développe un questionnement entre la littérature et la philosophie sur les notions d’œuvres et d’auteurs dans le cas de l’écrivain français Paul Valéry. Il se compose de deux approches particulières : la première consiste en l’analyse d’un texte peu connu et peu ou pas commenté : Petite lettres sur les mythes (1928), dans lequel Paul Valéry propose une réflexion philosophique sur l’acte de création littéraire. La seconde est un approfondissement de la notion de résistance (Giorgio Agamben) présente dans cet acte même de création, dont la finalité est de montrer d’une part que Paul Valéry est plus un écrivain de la résistance qu’un simple poète classique, et d’autre part que cette résistance, passive, trouve un écho fertile dans le personnage de Bartleby, anti-héros moderne de la célèbre nouvelle Bartleby « the scrivener » de l’écrivain américain et auteur de Moby Dick, Herman Melville.
"Aimer est dangereux, le désir est fou, le sexe violent" : la sexualité dans les oeuvres de Catherine Safonoff"
Maggetti, Daniel
Ce travail étudie la sexualité dans les romans de Catherine Safonoff. Dans une approche transversale, il réunit un propos dispersé dans plusieurs récits : "La Part d’Esmé", "Comme avant Galilée", "Au nord du Capitaine", "Autour de ma mère", "Le Mineur et le Canari", "La Distance de fuite" et deux textes inédits, "La Fille" et "Genova". À partir des expériences vécues par les narratrices, il s’agit de reconstituer le rapport particulier de ces dernières à la sexualité. Celui-ci, complexe, est construit sur un sentiment de honte et de culpabilité fort, sur la douleur d’être indésirable, sur la sacralisation du désir et sa concrétisation, sur la présence et l’importance de l’Autre, sur la souffrance induite par les relations vécues et enfin, sur le rôle à la fois salvateur et dévastateur de l’écriture. En outre, ce mémoire s’interroge sur la position féministe éventuelle de Catherine Safonoff.
"Tristan & Yseult" d'Agnès Maupré et Singeon : étudier une adaptation en bande dessinée au gymnase.
Wahlen, Barbara
Ce mémoire propose l’analyse de la bande dessinée Tristan & Yseult d’Agnès Maupré et Singeon parue en 2017 aux éditions Gallimard. Cette adaptation créée à partir des souvenirs de sa scénariste présente un mythe réécrit de façon moderne et actualisante qui se veut fidèle à un esprit et non à un texte en particulier. Dans une perspective pédagogique, ce roman graphique a également été analysé lors d’ateliers mis en place dans trois classes gymnasiales vaudoises. En effet, la bande dessinée n’ayant qu’une faible place dans le système scolaire, nous voulions tester son efficacité lors d’une étude comparative. Alors que la bande dessinée est majoritairement utilisée en classe comme marche-pied à des sujets grammaticaux, nous verrons qu’il est également intéressant d’étudier un album comme une œuvre en soi. Cet exercice permet aux élèves d’endosser le rôle actif de lecteur-interprète.
En annexe figurent des extraits de notre correspondance avec Agnès Maupré, la scénariste.
"Les Italiens" de Massimo Furlan et Claire de Ribaupierre, analyse d’un spectacle contemporain
Chaperon, Danielle
A travers une analyse du spectacle "Les Italiens", créé par les artistes lausannois Massimo Furlan et Claire de Ribaupierre, le mémoire interroge la manière dont est construite une production dramatique contemporaine. Divisée en trois étapes, l’investigation entend analyser les phénomènes à l’œuvre dans ce spectacle, ainsi que réfléchir sur les définitions pouvant être associées à une création théâtrale qui mêle différents genres et est composée d’un ensemble apparemment hétérogène d’éléments. La première partie du travail se concentre sur "Les Italiens". Ainsi, de la genèse du spectacle à une analyse dramaturgique de celui-ci, en passant par des questions de division scénique et thématique, la création théâtrale de Massimo Furlan et Claire de Ribaupierre fait l’objet d’une description minutieuse qui tente d’en saisir les procédés de découpage et de montage qui permettent à cette œuvre théâtrale de réaliser une « représentation émancipée » , pour reprendre l’expression de Bernard Dort. Dans la deuxième partie du travail, le spectacle analysé est inscrit dans une suite d’œuvres produites, au fil de la décennie, par Massimo Furlan avec, souvent, la collaboration de Claire de Ribaupierre. Finalement, la troisième et dernière partie sera consacrée à des propositions théoriques portant sur le spectacle contemporain. Plus spécifiquement, au vu de la diversité des matériaux employés par le metteur en scène qui fait l’objet du mémoire, il s’agit de définir dans quels courants du spectacle vivant peut être inscrite "la Compagnie Numero23Prod". et à quels genres de spectacles peut être rattaché "Les Italiens".
Société de consommation et nouveaux rapports à l'objet : les exemples d'Alain Robbe-Grillet et de Georges Perec
Caraion, Marta
Cette étude est consacrée à la manière dont les écrivains en général et Alain Robbe-Grillet et Georges Perec en particulier mettent en avant le nouveau rapport à la possession de l'objet dans un contexte précis : les débuts de la société de consommation. Parmi l'abondante littérature qui se consacre aux objets dans cette période spécifique, trois livres ont essentiellement retenu notre attention : Les Gommes et Le Voyeur d'Alain Robbe-Grillet et Les Choses de Perec. La raison de ce choix réside dans la position littéraire assumée et engagée des deux écrivains, ainsi que dans leur appréhension diamétralement opposée de l'objet. En effet, la volonté de décrire l'objet littéraire comme une chose ou un signe montre une opposition sur leur rapport à la consommation dans les années 1950-1960. De plus, le rapport déviant avec l'objet sera mis en exergue dans ce travail. En effet, la forte autonomie donnée à l'objet paraît concomitante à une perte de contrôle des personnages. À travers l'analyse de la place de l'objet dans ces textes romanesques, nous mettons en évidence une forme parallèle d'évolution sociétale et littéraire.
Rapport des surréalistes à l’œuvre de Proust : à la recherche d’un surréalisme proustien 1919-1928
Buchs, Arnaud
Aujourd’hui, l’année 1919 dans l’histoire de la littérature française marque avant tout la date d’un événement qui défraya la chronique : Marcel Proust reçut le prix Goncourt pour "À l’ombre des jeunes filles en fleurs". Même s’il fallut attendre jusqu’aux années 1960 pour que Marcel Proust fût baptisé comme étant le plus grand écrivain français du XXe siècle et que son œuvre, "A la recherche du temps perdu", devînt un des monuments de la littérature, le prix Goncourt de 1919 annonçait d’une certaine manière, pour nous qui savons la suite de l’histoire, le début de la consécration de Proust et de son roman. Au cours de la même année, André Breton, Philippe Soupault et Louis Aragon, combattants à peine démobilisés, fondent à Paris une revue intitulée "Littérature". Ayant fait la guerre, étant témoins de la boucherie, ces trois jeunes poètes remettent en question toutes les valeurs de la civilisation occidentale, en commençant par la littérature. En 1919, on assiste donc à la fois à la consécration du plus grand romancier français du XXe siècle et à la naissance du mouvement littéraire et artistique le plus important du siècle, qui déclare la guerre à la littérature, en particulier au roman, genre considéré comme inférieur. En constatant que, tant sur le plan littéraire qu’idéologique, tout sépare les surréalistes de l’auteur de "A la recherche du temps perdu", on ne s’est guère intéressé à la relation entre Proust et les trois mousquetaires du surréalisme. Cette étude se propose d’établir la relation entre Proust et ces trois fondateurs du surréalisme dans une perspective littéraire et historique. La deuxième partie du travail est consacrée à la question de l’influence, de la référence et de l’intertextualité entre les œuvres des surréalistes et celle de Proust. Est-ce possible de parler d’une influence de Proust chez les fondateurs du surréalisme, qui figurent parmi les tout premiers lecteurs de la "Recherche" ?