La poésie à l’ère des réseaux sociaux. Productions et interactions d’un genre littéraire en contexte multimédia
Rodriguez, Antonio
Ce mémoire étudie les mutations de la poésie à l’ère des réseaux sociaux, en interrogeant la manière dont les pratiques d’écriture, de lecture et de diffusion se transforment au contact des dispositifs numériques. Ces espaces multimédias favorisent et déplacent des traditions poétiques existantes — oralité, performance, lyrisme, sociabilité, entre autres — tout en les soumettant à de nouveaux régimes d’attention et d’exposition. À travers l’analyse des usages poétiques d’Instagram et de TikTok, il s’agit de comprendre comment la poésie s’inscrit dans un environnement où la visibilité, la performativité et l’instantanéité conditionnent les formes de création.
L’étude mobilise un cadre interdisciplinaire pour analyser la tension entre culture du livre et culture de l’écran. L’examen des "Fleurs du mal" de Baudelaire éclaire la circulation des classiques poétiques sur les réseaux sociaux, entre remédiation (Bolter & Grusin, 1999) et appropriation populaire du canon scolaire. Cette perspective met également en évidence les pratiques numériques contemporaines : Morgane Ortin sur Instagram et Lémofil sur TikTok s'approprient certains codes poétiques en fonction des logiques numériques, leur ethos (Meizoz, 2009) contribuant à établir un rapport intimiste à leur lectorat.
Enfin, l’étude met en évidence les enjeux d’une nouvelle génétique textuelle et d’une patrimonialisation en réseau : le poème se déploie en états successifs (Lebrave, 2009) et en relations esthétiques (Schaeffer, 2004), soumis à la temporalité fluide des plateformes. La poésie des réseaux sociaux inaugure ainsi un déplacement du poétique vers un espace d’expérimentation collectif et transitoire, où la circulation et la réitération des fragments assurent, paradoxalement, une forme de persistance du langage malgré l’algorithme.
Le royaume de la mère morte : l’identité juive dans le deuil chez Albert Cohen et Marcel Proust
Rodriguez, Antonio
Constatant que du creux naît toute littérature, ce mémoire interroge le deuil maternel chez Albert Cohen et Marcel Proust, et son rapport à l’identité juive. En croisant psychanalyse, philosophie juive et analyse littéraire, il montre comment la mort de la mère ouvre une béance à combler, où s’entrelacent le sujet, le langage et la foi.
Chez ces deux auteurs, la mère est juive – et, selon le principe de la matrilinéarité, elle transmet l’identité au fils. Sa disparition dépasse ainsi la seule perte affective puisqu’elle devient également perte d’origine, d’appartenance et de sens. Au sein d’un judaïsme que l’on qualifie de domestique dans son intime transmission, la mère de Cohen incarne la filiation et la fidélité aux racines. À travers l’étude approfondie de son œuvre, se déploie une écriture qui se fait prière, supplique adressée tour à tour à la défunte, à l’antique Israël et à Dieu. Du côté de chez Proust, le judaïsme de Jeanne Weil affleure de manière indicielle dans la structure même de la Recherche, où le deuil s’envisage comme un véritable travail de mémoire.
Une plaque tournante émerge alors : de Texte-tombeau à Texte-berceau, puis Texte-temple, l’écriture devient le seul lieu où la mort se retourne en fécondité. La littérature s’y dresse face au sacré, non pour le contester, mais pour le prolonger. En ce sens, l’étude interroge moins la mort elle-même que la façon dont l’écriture lui résiste, là où, à l’image des fondements de l’histoire juive, le deuil n’est pas clôture mais passage. Du double orphelinat, celui d’une mère et d’une terre, surgit enfin le besoin de refonder le monde dans la langue, en réconciliant l’exil et la filiation, la perte et la création.
Se faire berger, entre expériences et représentations.
Le choix d’un métier paysan dans Berger sans étoiles – à cru [1984] de Jean-Pierre Rochat et
Estive [2007] de Blaise Hofmann
Lachat, Jacob
Ce travail interroge la notion d’authenticité dans la représentation littéraire du monde rural, à travers deux récits contemporains d’« écrivain berger » : Berger sans étoiles – à cru [1984] de Jean-Pierre Rochat et Estive [2007] de Blaise Hofmann. En retraçant brièvement l’évolution de la figure du paysan dans la littérature et de l'écrivain-paysan, depuis la rupture inaugurée par La Vie d’un simple (1904) d’Émile Guillaumin jusqu’aux écritures rurales du XXIe siècle dans
lesquelles s’inscrivent les œuvres de Jean-Pierre Rochat et Blaise Hoffman, ce mémoire montre que l’expérience du travail agricole ne garantit pas à elle seule l’authenticité de son récit : cette dernière se construit discursivement à travers l’ethos que se façonne chaque auteur.
En effet, ces deux récits de travail servent des fins différentes : Jean-Pierre Rochat, jeune citadin devenu paysan, fait de sa première expérience bergère une vocation corporelle et existentielle dont le récit vise à légitimer sa place au sein du monde agricole. Au sein du texte, l’auteur-narrateur se construit donc un ethos de berger passionné et libre naturellement amené à devenir paysan. À l’inverse, Blaise Hofmann est un écrivain issu du milieu rural ; milieu dont il s’est
éloigné par ses études. Son unique estive est pour lui un véritable matériau littéraire : c’est en faisant le récit de son expérience saisonnière de moutonnier qu’il se construit un ethos d’écrivain « du terrain ».
Ainsi, l’authenticité de ces deux représentations pastorales contemporaines réside dans la tension entre l’expérience choisie et le récit de celle-ci. Outil de légitimation identitaire et littéraire, mais aussi de différenciation, le récit révèle donc deux manières singulières de se représenter sur l’alpe et de mettre en scène l’authenticité d’une expérience de berger.
Le livre matérialisé. L'imaginaire littéraire de l'objet-livre de 1880 à 1890
Caraion, Marta
La Révolution industrielle, l’entrée dans la civilisation du journal et l’émergence d’une culture de masse au XIXe siècle entraînent un bouleversement dans la conception culturelle du livre en tant qu’objet. Cette évolution des mentalités atteint son point d’acmé lors de la fin-de-siècle alors que le sentiment d’une « crise de la littérature » parcourt certaines franges de la société. Conséquemment, les écrivains finiséculaires vont penser et réfléchir au statut symbolique, à la dimension matérielle et aux enjeux médiatiques de l’objet-livre.
Ce mémoire s’attarde en premier lieu sur l’histoire de l’édition dans la sphère francophone avec pour dessein d’éclairer, dans un second temps, l’imaginaire associé au livre et à sa matérialité. En s’appuyant sur un panel d’auteurs allant de Flaubert à Huysmans, en passant par Anatole France, Jules Verne ou encore Victor Hugo, la représentation littéraire de l’objet livresque est envisagée selon une approche au croisement de l’histoire littéraire, de l’histoire de la culture matérielle et de la poétique des supports.