L’engagement dans le néo-polar : défense et illustration de la langue "noire" : Jean-Bernard Pouy.
Meizoz, Jérôme
La littérature engagée remet en question la définition d’une littérature atemporelle et détachée des contingences historiques. Tel est aussi le cas du roman noir, genre romanesque à part entière né aux Etats-Unis dans les années 1920-30 et peu à peu rebaptisé « polar » par le public français d’après-guerre. Dès les années soixante-dix, des auteurs comme Manchette, Daeninckx, Pouy ou Fajardie, réunis sous l’étiquette de « néo-polar », se révèlent des auteurs-trices attentifs à la misère sociale, animés d’une humeur anti-institutionnelle et dénonçant les collusions de la politique avec toutes les formes de pouvoir. Or l'engagement de ces écrivain-e-s est double, confondant l’engagement politique dans les romans avec l’engagement que réclame le roman noir, genre minorisé au sein du champ littéraire. Le genre partage en quelque sorte le même sort que les exclus de la société dont a coutume de parler le polar : littérature en marge, le roman noir écrit sur les marges. Mêlant son engagement à l'extrême gauche à son rejet de la « littérature blanche », Jean-Bernard Pouy développe une posture d'écrivain « populaire » illégitimé et rebelle lui permettant de convertir en valeur positive la position dominée qu’il occupe dans le champ littéraire.
Sur les traces de l’enquêteur. Portrait-robot du héros de roman policier chez Gaston Leroux, Raymond Chandler et Georges Simenon.
Kaempfer, Jean
Le roman policier se distingue des autres genres littéraires par la marque de son personnage principal, l’enquêteur. C’est ce personnage qui est au cœur du mémoire. Pour commencer, je mettrai en lumière quelques uns des principaux invariants du genre, en particulier ceux qui déterminent la figure de l’enquêteur dans le corpus de référence. Je me pencherai ensuite sur la problématique des sous-genres en compagnie de trois auteurs : Gaston Leroux (roman à énigme), Raymond Chandler (roman noir), Georges Simenon (roman policier psychologique). Ainsi, j’aborderai trois types d’enquêteurs : Rouletabille, le journaliste-enquêteur, Marlowe, le détective privé et Maigret, le commissaire de police. Cet angle ouvrira la perspective sur le caractère évolutif du genre en tant que tel d’une part, et d’autre part du personnage, dans ses similitudes comme dans ses différences. Ma démarche d’analyse repose sur trois grilles de lecture qui constituent les critères de recherche retenus. Il s’agira d’évaluer la construction de la figure de l’enquêteur par rapport à la nature de l’énigme, aux méthodes d’investigation et aux autres personnages. En conclusion, je dresserai le bilan des éventuelles constantes ou des éléments différenciateurs du personnage, selon qu’il s’inscrit dans tel ou tel sous-genre.
En tant qu’héritier de Diderot et de Rousseau, Sade fait de la renaissance philosophique de l’individu une apologie de la débauche, de la cruauté et de la satisfaction systématique de tous les vices, projetant de ce fait, à travers ses écrits, les fantasmes de l’homme à un niveau extrême. La barbarie étant tapie en chacun de nous, il s’agit d’explorer l’âme humaine et de nous la faire ressentir. Cependant, bouc émissaire d’une noblesse qui dissimulait hypocritement sa décadence, puis rejeté par les révolutionnaires puritains et versatiles et enfin par le Premier Consul et l’Empire, Sade n’a jamais cessé d’être un paria. Il sera condamné à passer près de la moitié de sa vie en prison. Néanmoins, depuis sa réhabilitation par les surréalistes, l’image diabolique du marquis, s’est bien adoucie, et plutôt qu’il ne répulse, le personnage apparaît désormais comme un homme brisé par des années d’emprisonnement qui affirme sa philosophie pessimiste jusqu’au bout. C’est donc à travers l’univers de la claustration, incluant silence et solitude absolues, que Sade est parvenu à pénétrer les perversions secrètes de l’âme et ses tourments tortueux, en cette manière habile qu’il a de recourir à l’excès pour l’ériger en principe. Sade espérait ainsi pouvoir trouver un état de réconciliation entre la liberté des mœurs et les nécessités de la nature physique et sociale.
Etre et ne pas être un double-rate, ou le paradoxe d’Alexande Jardin.
Cordonier, Noël
Alexandre Jardin est l’héritier d’un clan fabuleux, qui a sensiblement marqué son écriture et sa personne. Deux de ses écrits sont des récits de témoignage, sorte de biographies consacrées à la famille Jardin. En outre, certains de ses romans s’inscrivent dans un genre qui se situe à mi-chemin entre roman et autobiographie : l’autofiction. Dès lors, la question de l’identité est plus que présente dans l’œuvre d’Alexandre Jardin. et l’auteur semble être précisément en quête de son identité Jardin, c’est-à-dire de ce qui le détermine en tant que Jardin. Or la singularité de l’identité Jardin s’exprime par certains éléments poétiques, présents dans les romans d’ordre autofictionnel, comme la récurrence des personnages de père fantasque, la prégnance des thèmes de l’amour ou de l’enfance, ainsi que par l’omniprésence du romanesque dans l’existence des Jardin – omniprésence qui détermine la conception de la littérature d’Alexandre Jardin et qui se trouve thématisée, tant dans les romans que dans les récits de témoignage.
Les métissages littéraires, linguistiques et culturels dans les romans de Ahmadou Kourouma.
Reichler, Claude
En consonance directe avec la situation de l’Afrique d’après les Indépendances, l’œuvre de l’écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma met à jour des perspectives littéraires totalement nouvelles pour l’époque. Par l’emploi de divers registres linguistiques, de structures narratives prenant leur source dans différentes traditions littéraires (la littérature orale africaine et la littérature française), ainsi que par la mise en place de divers dispositifs de médiation de la parole, l’auteur élabore un langage nouveau, découlant du mélange des genres et des imaginaires en présence. Située à la croisée de deux langues, le malinké et le français, et par conséquent de deux cultures, l’œuvre de Kourouma reflète de manière remarquable la position ambiguë de l’écrivain africain francophone placé entre deux imaginaires culturels. Le malinké, sa langue maternelle, et le français, la langue coloniale et la seule dans laquelle il ait été instruit au sein du système scolaire, sont les deux pôles entre lesquels sa pensée oscille constamment. Notre étude se situe au cœur de cette rencontre culturelle et linguistique, puisqu’elle cherche à mettre en lumière le résultat identitaire de cette confrontation à plusieurs niveaux. Dans la perspective de mettre à jour les procédés narratifs, linguistiques et énonciatifs des œuvres de Kourouma tout en conservant pour angle d’approche celui du métissage, cette analyse tente de parvenir à la définition de l’identité culturelle qui transparaît dans les textes de l’auteur ivoirien. De fait, le profil du concept identitaire est le point convergent de tous les précédents et la synthèse de ce « tissage » de genres, de voix et d’univers symboliques multiples. Ce mémoire tend alors vers une définition des diverses facettes de cette identité nouvelle née du syncrétisme de l’Afrique et l’Occident, du malinké et le français, et de la tradition à l’encontre de la modernité. Aux croisées d’univers symboliques hétérogènes, aux confins d’une histoire douloureuse dont les séquelles se font par moments encore largement ressentir, l’œuvre de l’écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma se fait l’écho d’un monde métissé par les brassages des cultures et la rencontre de deux civilisations. Peut-on alors parler, et c’est là l’aboutissement de notre recherche, de la naissance d’une poétique propre à cet univers hybride ?
Ecrire ou Mourir : la poésie mélancolique à l’aube de la modernité entre l’Allemagne et la France.
Kaempfer, Jean et Hart Nibbrig, Ch.
À travers l’analyse de poèmes allemands et français de 1790 à 1870, ce mémoire tente de dégager les contours de la bile noire au-delà des frontières de la langue. Après une première partie historique visant à définir la mélancolie de l’Antiquité à la modernité, l’analyse se poursuit au cœur de poèmes issus de l’œuvre de Tieck, Lenau, Heine, Gautier, Baudelaire et Verlaine qui incarnent, à leur façon, le déclin de l’idéal romantique. Les textes abordés s’avèrent d’autant plus éloquents qu’ils traitent d'un mal de l’être que nulle science n’a su rendre obsolète aujourd’hui encore. Ce travail aspire ainsi non seulement à pénétrer la mélancolie d’une époque et d’auteurs spécifiques, mais encore à saisir les tenants et aboutissants de cette muse au charme fatal.
« Je ne peux vivre ni sans toi, ni avec toi » : Les figures féminines dans Moravagine et Dan Yack de Blaise Cendrars.
Cossy, Valérie et Le Quellec Cottier, Christine
Ce travail considère les figures féminines des romans dans leur rapport au(x) héros, et constitue une première approche du corpus romanesque cendrarsien avec une perspective de genre. Construites en figures d’altérité pour le(s) héros, c’est la féminité même de ces personnages qui est problématique. Elles représentent autant d’incarnations du principe féminin dans l’univers du héros, et autant de formes de la part du féminin interne au héros lui-même. L’aspiration à l’androgynie et l’exploration du motif androgyne vont constituer une réponse cendrarsienne à l’impasse de la différentiation sexuelle.
Ce mémoire est consacré à l’auteur suisse cosmopolite : Charles-Albert Cingria (1883-1954). Il insiste sur les tours et les détours empruntés par son écriture. L’auteur utilise la digression comme dynamique principale d’écriture. Ce phénomène discursif sert la ligne ondoyante de ses textes et permet les déviations opérées par l’écrivain. Celui-ci détourne constamment ses propos, et par divers procédés détourne l’attention du lecteur. Il peut être défini comme un animateur qui distrait son public et détourne son attention. Cingria offre au lecteur le spectacle d’une langue foisonnante, tournoyante, que l’on qualifiera ici de gravitationnelle. Notre travail se propose de déjouer les ruses de l’auteur en démontrant que sous l’apparente spontanéité de son langage se trouve l’habileté, voire la virtuosité d’une écriture souveraine aux maladresses feintes.
Poétique de la mort chez Marguerite Duras : deuil, écriture et rhétorique.
Kaempfer, Jean
Dans la dernière période de sa vie (1978-1996), Marguerite Duras a rédigé les textes du Cycle atlantique. Cette époque fut celle de la renommée internationale : le succès fulgurant de L’Amant (1984). Pourtant, la vieillesse sera surtout pour elle synonyme d’une fascination sans bornes pour la mort et le deuil. Dans ce travail, notre objectif est de comprendre comment le thème de la perte de l’autre implique une recherche formelle. Nous pensons que Duras souhaitait créer un genre nouveau qui puisse transcrire la tragédie de la mort grâce au texte : elle voulait transcender l’oubli et provoquer l’avènement d’un souvenir éternel. Il est aisé, en analysant le style de Duras, de dire qu’il est poétique, mais il est plus pertinent de nous arrêter sur cette appellation, l’écriture – un terme métatextuel couramment utilisé par l’auteur – afin de saisir si cette notion peut renvoyer non seulement à une problématique stylistique, mais également formelle. Pour définir l’écriture de la mort, nous avons choisi de recourir aux outils de la rhétorique classique. Après avoir défini les modalités du deuil durassien, nous avons réfléchi à l’affinité de certains écrits de Duras, comme « La Mort du jeune aviateur anglais », avec le genre épidictique. L’intérêt de la rhétorique est de pouvoir investiguer la textualité, d’une part stylistiquement (l’elocutio) et, d’autre part, structurellement (la dispositio).
ECRIVAINER. Le discours épistolaire de Samuel Daiber. Langue, psychose et inventivité.
Adam, Jean-Michel
L’intérêt de ce travail réside dans l’aventure où la langue se trouve embarquée : ECRIVAINER ? Le titre témoigne d’une pratique d’écriture spécifique, qui surprend, puis interroge : nous considérons les écrits épistolaires asilaires de Samuel Daiber (1901-1982) comme ce qu’Emile Benveniste qualifie de “truchement d’un autre « langage »”. C’est donc en des termes relevant du déplacement que nous abordons plus précisément une lettre datée du 28 novembre 1963 adressée à un médecin, “sortie” de la marginalité, de l’enfermement et de la stigmatisation psychiatriques par la Collection de l’Art Brut de Lausanne. Partant de l’articulation de la double dimension textuelle et sociale des pratiques discursives, ce travail reconnaît un genre de discours qui justifie le recours aux essais de Julia Kristeva, “aux frontières de la linguistique et de la psychanalyse”, où texte et contexte s’unissent par une théorie du sujet, faisant l’interdisciplinarité de cette étude. En fréquentant les marges propres au discours psychotique, nous entrons dans un univers total, qui joue sans cesse sur l’univocité du sens : par le désancrage face au code commun et le remaniement du lexique, la lettre de Samuel Daiber dit autant la plainte douloureuse, la dénégation du réel que la création foisonnante. Sachant que les internés sont relativement laissés à eux-mêmes en ce qui concerne l’expression verbale, nous pouvons affirmer nous trouver en face du discours d’un homme qui, comme Antonin Artaud le dit pour lui-même, avoue avoir perdu en partie la connaissance des mots, en faisant l’expérience extrême de se trouver étranger dans sa propre langue. Cet état d’altérité caractérise l’identité de la langue dans la langue de Samuel Daiber, dont la lecture permet d’établir le paradoxe fondateur : celui-ci passe par le double mouvement d’“une mort et d’une réinvention de soi”, si bien qu’il n’empêche pas de placer la question de l’aliénation dans le domaine de l’invention de nouvelles formes.
« Nommer l’incognito : Gauvain dans Le Livre d’Artus ».
Mühlethaler, Jean-Claude
Le Livre d’Artus (après 1235) est une des Suites du Merlin en prose qui prétendent raconter rétrospectivement les débuts du règne d’Arthur. Notre travail part du constat suivant : Gauvain, personnage-clé de la cour arthurienne, est réputé depuis le Conte du Graal de Chrétien de Troyes pour ne jamais cacher son identité à qui la lui demande. Dans le Livre d’Artus, il refuse non seulement de la donner, mais se fait également passer pour un autre, usurpant à plusieurs reprises l’identité peu flatteuse de « Daguenet li Coars ». Par le biais de l’entrelacement et de l’omniprésence de Gauvain, l’incognito du personnage se retrouve au cœur du récit et des problématiques attachées à son pacte d’écriture. Le procédé permet au prosateur de mettre en avant l’importance de la renommée dans la société chevaleresque, de s’interroger sur le statut du nom propre, mais aussi de se positionner dans la réflexion qu’il mène sur la formation des stéréotypes arthuriens, d’asseoir son statut d’anticipation du Lancelot en prose, de développer une esthétique et une tonalité qui lui sont propres ainsi que de répondre aux ambitions totalisantes de la prose romanesque en convoquant un intertexte à la fois cyclique et propre aux romans en vers. Il répond aux ambitions totalisantes de la prose romanesque en convoquant un intertexte qui renvoie à la fois aux romans cycliques et aux récits en vers. A travers l’étude de l’incognito de Gauvain dans Le Livre d’Artus, ce mémoire offre au lecteur un accès à la vision d’une époque sur un personnage récurrent de l’univers arthurien et lui ouvre, en même temps, une porte vers un texte peu connu, mal édité et encore moins étudié, qui pourtant mérite à nos yeux d’être (re)découvert.
« L’arrière dans le récit de guerre : l’évolution d’une représentation ».
Kaempfer, Jean
La représentation des civils subit une profonde évolution dans les trois grandes générations de textes ayant la Première Guerre Mondiale pour objet. Les récits-témoignages écrits par des combattants durant le conflit ou peu après livrent une réaction « à chaud » contre l’arrière, victimisant les soldats et niant les souffrances des civils, et divisent de la sorte la société en deux sphères, combattants contre non-combattants. Les romans publiés dans les années 30 bénéficient d’un certain recul, qui permet la décantation des souvenirs et des sentiments. La représentation des civils s’y fait donc à la fois plus nuancée, mais aussi plus extrême, car le temps permet aussi aux sentiments refoulés de se libérer. Ce n’est qu’à la fin du XXème siècle que se dessinera une véritable tendance à réhabiliter la population civile dans la littérature. Dans les textes parus à ce moment, les civils tentent à la fois de recueillir l’expérience de leurs proches qui ont combattu et de comprendre le conflit ; le dialogue est restauré, et une véritable coopération s’installe même entre civils et combattants, ce qui permet de combler, à la fin du XXème siècle, le fossé entre l’avant et l’arrière.
Blogues_intimes.com : écriture di@ristique sur internet et constitution du genre intime.
Meizoz, Jérôme
Cette étude cherche à appréhender une nouvelle forme d’écriture de soi, incarnée dans les blogues intimes. Les hypothèses ayant conduit à ces recherches sont les suivantes : d’une part, le blogue doit être considéré comme une nouvelle forme de diarisme. Bien que diffusé en ligne, il semble en effet contenir les traits d’une expression intime telle qu'elle pourrait apparaître dans un carnet tenu secret. D’autre part, cette diffusion et la visibilité qui en découle amènent à une progressive constitution d'un genre intime. L’analyse d'un corpus constitué de huit blogues cherchera donc à affirmer ces hypothèses. Les outils seront ceux de l’analyse littéraire, mais un recours à certaines notions telles que celles d’intimité et d’extimité servira également à en établir la validité.
A la lumière de la Bible : Pour une lecture christique du Roman de Mélusine ou La Noble Histoire de Lusignan de Jean d’Arras.
Mühlethaler, Jean-Claude
Le Roman de Mélusine (1393) de Jean d’Arras raconte les origines de la famille des Lusignan dont l’ancêtre merveilleuse est la fée éponyme. Le récit invite à une lecture aussi bien politique, féerique, folklorique que socio-historique, etc. ; si nous avons choisi de nous pencher sur les éléments contribuant à christianiser Mélusine – femme-serpente aux relents inquiétants, sinon diaboliques –, c’est qu’il s’agit d’un aspect largement négligé par les nombreuses études antérieures. Notre recherche a permis de mettre en évidence toute une série de convergences entre le récit de Mélusine et la Bible, que ce soit au niveau du canevas ou de thèmes, sur lesquels Jean d’Arras joue aux moments charnières du texte (rencontre avec la fée, sa disparition) afin d’orienter l’interprétation du passage par le lecteur. L’enjeu de ce mémoire, par le biais de l’analyse de ces épisodes clefs, est de poser un regard nuancé sur la difficile récupération chrétienne du matériau folklorique, d’en cerner à la fois les possibilités et les limites d’un lecture en clé chrétienne (voire christique) de Mélusine, à laquelle Jean d’Arras nous invite dès le prologue, quand il légitime la merveille en s’appuyant sur l’auctoritas des Écritures.
La question du pouvoir et de son exercice dans l’œuvre de François Rabelais.
Mühlethaler, Jean-Claude
En faisant de ses géants des princes, Rabelais inscrit d’emblée ses œuvres dans le cadre d’une réflexion politique. Avant lui, d’autres écrivains et penseurs avaient fait du pouvoir un objet de réflexion ; c’est notamment à travers ce que nous rassemblons sous le terme de miroirs des princes, genre littéraire en vogue du XIIe siècle à la fin du Moyen Age, que se développa l’image du prince idéal. A cheval entre le Moyen Age finissant et le lent avènement de la Renaissance, Rabelais participe d’une conception médiévale du pouvoir, mais il la revoit à la lumière d’idées nouvelles issues notamment de l’humanisme. C’est ce qui apparaît à l’étude des princes dans Pantagruel et Gargantua, qu’ils soient « bons » (Grandgousier, Gargantua ou Pantagruel) ou « mauvais » (Picrochole ou Anarche). Mais Rabelais ne se limite pas à une mise en scène antithétique des « bons » et des « mauvais » princes, il les humanise en leur accolant des personnages empreints d’ambiguïté (Fère Jean et Panurge), propres à suggérer des dérives et des faiblesses possibles dans l’exercice du pouvoir. En conclusion, le prince idéal selon Rabelais ressemble beaucoup à l’idée que s’en font Gilles de Rome, Philippe de Mézières, Christine de Pizan ou encore Erasme : ils sont pacifistes, toutefois capables de s’imposer par les armes, quand cela est nécessaire, des rois lettrés (mais la notion même de sagesse évolue au fil des siècles !) qui savent maîtriser leur passions (et les exigences de leur corps). Comme le roi de France, ils se présentent sous les traits d’un rex christianissimus, font régner la justice et gardent en ligne de mire le bien commun, ce bonum commune issu de la tradition aristotélicienne. Sous le voile du comique, si volontiers relevé par la critique, affleure une réflexion approfondie sur l’Homme au pouvoir.
Les ressorts linguistiques du comique dans un sketch de Raymond Devos. Analyse textuelle de « Mon chien, c’est quelqu’un ».
Adam, Jean-Michel
Dans le cadre académique, l’étude de textes d’un humoriste peut surprendre. Les qualités poétiques et linguistiques des textes de Raymond Devos (1922-2006) sont telles qu’il serait regrettable de les écarter de l’étude universitaire, sous prétexte de manque de « sérieux » et de non littérarité. Ce travail a pour but de montrer comment Devos s’empare des mots et des situations du quotidien et les « travaille » de telle sorte que nous passons progressivement du monde auquel nous sommes habitués vers des mondes imaginaires voire franchement absurdes. La première partie de ce mémoire est consacrée à l’étude des différents procédés linguistiques : de l’homonymie à l’autonymie en passant par la polysémie et la polyisotopie ou la relittéralisation d’expressions figées, etc. Tout devient possible dans l’espace fictionnel du sketch, même les situations et constructions de mondes absurdes. Le dédoublement du langage (polysémie, entre autres) et des personnages permet des passages d’un monde à l’autre par l’intermédiaire des jeux de langage. L’originalité de Devos est d’écrire des sketches destinés non seulement à être joués sur scène, vus et entendus sur des supports audio-visuels mais également publiés. Le but de la deuxième partie est de proposer, sur cette base, une analyse textuelle du sketch intitulé « Mon chien, c’est quelqu’un ». La comparaison de ce texte avec une transcription d’un spectacle permet de mettre en lumière les variations des versions écrite et orale.
Le rapport entre l’homme et l’animal dans L’Autre Monde" de Cyrano de Bergerac".
Paschoud, Adrien
Loin d’être une simple question zoologique, le débat sur l’animal au Grand Siècle se mêle à la théologie et aux questionnements sur l’immortalité de l’âme et la nature de l’homme. Dans L’Autre Monde (1657), une œuvre qui ne cesse de faire dialoguer les savoirs (politique, scientifique, religieux, etc.), Cyrano de Bergerac fait grand usage des enjeux de ce débat. Concevant son œuvre comme un vaste laboratoire fictionnel, Cyrano allie le burlesque et le sérieux, la parodie et la réflexion philosophique ; il met en scène divers procédés d’animalisation et d’anthropomorphisation au sein d’un récit fondé sur la tradition du voyage sub- et supralunaire. Ce travail se propose donc de suivre Dyrcona, l’énigmatique protagoniste de Cyrano, dans ses explorations de la Lune et du Soleil, afin d’examiner de quelle manière la fiction s’approprie un débat ancien pour l’inscrire dans une anthropologie libertine.
Les Belles Images et La Femme rompue : échos du Deuxième Sexe.
Cossy, Valérie
Dans le cadre de ce mémoire, nous nous sommes intéressés aux deux derniers ouvrages de fiction de Simone de Beauvoir : Les Belles Images (1966) et La Femme rompue (1968). Or, nous avons pu constater que ces deux textes faisaient écho au Deuxième Sexe et particulièrement à « Situation » contenu dans le second tome. En effet, bien que Beauvoir distingue radicalement le genre de l’essai de celui du roman et refuse que ses romans soient considérés comme des romans à thèse, ses deux derniers récits paraissent constituer des études de cas de ce qu’elle théorise à propos des femmes dans Le Deuxième Sexe. La situation de ses héroïnes exemplifie notamment ses thèses sur « La Femme mariée » et « La Mère », et permet de démystifier les préjugés véhiculés par la société à ce propos. Les décalage entre ce que vivent réellement les quatre héroïnes de Beauvoir et les mystifications sur l’épanouissement découlant du mariage et de la maternité est ainsi censé mettre en garde ses lectrices en leur permettant de prendre conscience de la réalité de leur propre situation. Les Belles Images et La Femme rompue témoignent donc du même engagement littéraire et féministe que celui dont Beauvoir fait preuve à travers Le Deuxième Sexe. Pourtant, ses deux romans ont été fortement critiqués par les féministes de l’époque et sont loin d’avoir connu le même succès que son fameux essai. On peut ainsi se demander pourquoi et regretter que Le Deuxième Sexe tende à faire de l’ombre aux autres livres de Beauvoir, car il nous semble que Les Belles Images et La Femme rompue seraient particulièrement intéressants à considérer dans le cadre des études genre. En effet, la déconstruction des stéréotypes sexistes à laquelle Beauvoir tend par la mise en scène de femmes ordinaires se rapproche des objectifs féministes actuels.