« Accéder à l’authenticité en partant d’une imposture, avouez que ce serait assez beau ! ». Ajar ou la mise en œuvre de l’imposture. De Pour Sganarelle à Pseudo.
Cernuschi, Alain
Le but de ce travail est de montrer comment il est possible de parvenir à réaliser le projet paradoxal d’accéder à l’authenticité à partir de l’imposture. La première partie de ce travail portera principalement sur Pour Sganarelle qui selon nous permet de mieux comprendre ce que signifie un tel projet pour Gary. L’essai qu’il écrit en 1965 développe en effet la théorie d’un roman total dont Gary dit lui-même que l’aventure d’Emile Ajar en est la réalisation. Nous commençons donc par étudier ce que représente le roman total pour Gary afin de voir par la deuxième partie de ce travail si l’œuvre d’Emile Ajar en est bien la réalisation. Cette deuxième partie est en effet constituée d’une analyse de Pseudo qui tente de montrer comment celui-ci réalise le versant fictif des thèses de Pour Sganarelle.
« Coller à son sujet », le style oralisé chez Emile Ajar
Meizoz, Jérôme
La question initiale de ce travail était de savoir si le style étonnant des romans que Romain Gary a signés du nom d’Emile Ajar (Gros-Câlin, La Vie devant soi, Pseudo, L’Angoisse du roi Salomon) relevait du style oralisé. Nous avons pu amener une réponse positive à cette question par l’étude des aspects biographique et formel de cette œuvre. Au niveau biographique, le pseudonymat de Romain Gary est très significatif : il exprime une préoccupation quant à la problématique de l’identité (l’auteur veut changer d’identité car il estime que ses œuvres ne sont pas reconnues à leur juste valeur) et il marque aussi une rupture au niveau stylistique puisque seuls les livres signés Ajar ont ce style particulier. Après une analyse formelle de l’oralité dans ces romans (marques classiques de l’oralité et figures propres à Ajar), nous avons pu constater que les personnages de ces mêmes romans étaient très proches de leur auteur Romain Gary par un aspect important de leur personnalité : leur désocialisation et leur caractère d’exclus. Autant pour l’auteur que pour ses personnages, la solution à cette identité troublée sera la recherche d’un nouveau style : le style oralisé.
« Contre une époque qui a besoin de héros, nous ne pouvons rien faire » : l’itinéraire de Jason dans la littérature médiévale (1300-1430).
Mühlethaler, Jean-Claude
Prenant pour point de départ la polémique créée par le choix de Jason comme patron de l’ordre bourguignon de la Toison d’Or, ce travail s’attache à retracer l’itinéraire de ce héros dans la littérature médiévale entre 1300 et 1430. Personnage profondément ambigu, il est tantôt décrié pour son comportement amoureux coupable envers sa compagne Médée, tantôt mis en avant comme le jeune héros intrépide qui conquit la toison d’or au prix d’une longue et périlleuse navigation vers l’Orient. L’étude de la figure de Jason permet d’aborder certains thèmes parmi les plus importants de la littérature du la fin du Moyen Âge : la loyauté, le mensonge, mais également le voyage, l’exotisme oriental et les qualités chevaleresques. Elle permet en outre de mettre en lumière certains fonctionnements du mythe littéraire et d’ouvrir des pistes de réflexions sur la manière dont les héros se trouvent répondre aux besoins et aux attentes de certaines époques.
« De la peinture du temps dans les Essais de Montaigne ».
Tinguely, Frédéric
Si aujourd’hui nous retenons essentiellement deux vues majeures du temps (à savoir celle – léguée par les Anciens – d’un temps cyclique où tout se répéterait périodiquement et celle – adoptée par les Modernes – d’un temps linéaire orienté vers l’avenir), les penseurs ne se sont de loin pas limités à ces deux seules visions, développant à travers les âges une pluralité de conceptions aussi diverses les unes que les autres. La littérature française n’a pas manqué d’en faire, elle aussi, une de ses sources d’inspiration privilégiée. Ronsard invite à « cueillir » le moment présent dans ses Sonnets pour Hélène ; Pascal, lui, constate dans ses Pensées l’inadaptabilité de l’homme à son présent ; les poètes romantiques se souviennent du passé avec nostalgie ; tandis que Verlaine et Baudelaire crient douloureusement les ravages du temps. La présente étude se penche sur l’approche montaignienne du temps dans les Essais. Nous partons d’un constat premier : l’angoisse de Montaigne face à la fuite du temps. De là, nous tentons alors de dégager les différentes stratégies de défense qu’adopte l’auteur, au fil du temps… Trois mouvements composent notre travail : d’abord nous défendons l’idée d’une conception subjective du temps, où celui-ci est réversible ; ensuite nous glissons vers une approche sceptique du temps, où celui-ci se meut à la façon de l’esprit montaignien ; et finalement nous aboutissons à la thèse de la saisie de l’instant, admise par la majorité des critiques, mais que nous nuançons à l’aide d’une reformulation de l’instant. Après ce long voyage à travers le temps, nous concluons enfin par l’atteinte d’un état ataraxique et exempt de toute angoisse chez Montaigne.
“ Elégie de la mort violente ”, le deuil dans l’œuvre de Claude Esteban.
Wyss, André
Ce mémoire traite du thème de la mort et du deuil dans l’œuvre de Claude Esteban, poète franco-espagnol né en 1935 à Paris. Il analyse principalement “ Elégie de la mort violente ” (1989), recueil rédigé après la mort de sa femme, et qui se situe à une place charnière de l’œuvre. En effet, si l’on compare l’œuvre antérieure à 1989 avec celle ultérieure, on prend conscience du bouleversement occasionné par la confrontation à la mort réelle. Ce mémoire est donc divisé en trois parties : l’œuvre antérieure où le thème de la mort occupe déjà une place essentielle,“ Elégie de la mort violente ”, et l’œuvre postérieure, dont je tente de cerner la réorientation radicale. La seconde partie, la plus importante, insiste sur trois enjeux du texte élégiaque : la question du langage, celle du sujet de l’écriture, et enfin celle du rapport au monde extérieur et aux hommes. Le premier enjeu, que j’ai nommé “ le langage poétique et la mort ”, traite du double aspect de la parole poétique face à la mort : menacée dans ses fondements par la confrontation au néant, elle frôle le mutisme ; cependant, malgré la douleur et les doutes, elle s’impose comme la seule possibilité de survie, construisant une œuvre qui se fait mémoire de la disparue et chemin de deuil. L’analyse des trois parties stylistiquement très différentes du recueil met en lumière l’évolution au sein même du langage. Ce dernier passe en effet de l’expression brute de l’événement tragique et de la douleur à son élargissement dans un chant qui permet l’universalisation et le partage de la plainte. Le second enjeu, nommé “ la douleur du poète ”, met en lumière la perte des repères suscitée par la mort de la personne aimée, ainsi que la prise de conscience de sa propre finitude en miroir à celle de l’autre. Ce recueil retrace tout un parcours allant de la révolte face à l’inacceptable jusqu’à l’acceptation de la perte et de sa propre mort. Le troisième enjeu, nommé “ L’absence de l’autre ; l’absence aux autres ” traite du rapport à la femme disparue et au monde extérieur. Si au départ la douleur ainsi que la tentative de maintenir un contact avec la morte se font au détriment du rapport aux autres, l’acceptation progressive de la disparition se fera au bénéfice d’une réouverture au monde extérieur. Au vu de l’évolution interne à “ Elégie de la mort violente ” ainsi que de sa mise en perspective avec le reste de l’œuvre, je suis arrivée à la conclusion que ce recueil, né d’un bouleversement total, amorce une poésie plus lyrique, c’est-à-dire ancrée dans l’intimité même du poète, et résolument tournée vers le lecteur. Il s’y dessine la nécessité d’un rapport nouveau à la mort, au langage et à la poésie. Dans la lucidité douloureuse de la fragilité humaine, cette poésie se recentre sur l’essentiel. Partant de l’expérience la plus intime qui soit, elle parvient à en faire une parole qui rassemble.
« Frissonner salubrement » : invitation à la lecture de quelques textes de Charles-Albert Cingria : Les Autobiographies de Brunon Pomposo, Pendeloques alpestres, Le seize juillet, La Fourmi rouge.
« Homo plasticator » : figures de créateurs dans la littératture du XIXe siècle : artistes et savants.
Caraion, Marta
Le XIXe siècle est riche en événements et en textes critiques et littéraires mêlant étroitement les arts et la science. Ce mémoire de licence se donne pour ambition de confronter différentes figures d’artistes et de savants, représentés dans la littérature de ce siècle, tels qu’ils apparaissent dans leur travail de créateurs d’êtres anthropomorphes. Ces créateurs, aussi bien dans le domaine artistique que scientifique, sont tributaires non seulement d’une longue tradition mythique et littéraire, mais aussi philosophique et technique. Leur volonté inflexible d’animer l’inerte ne se fait pas sans heurts avec la société, forçant le créateur à se retirer du monde, de son cercle familial, jusqu’à s’aliéner soi-même. Son travail de création l’accapare, pour lequel même la vie est sacrifiée. De Frankenstein à L’Eve future, du Chef-d’œuvre inconnu à L’Œuvre, le travail de création touche à la transgression et conduit souvent, paradoxalement, à l’anéantissement de l’œuvre humaine et du responsable de son existence.
« Ja orés mout tres grant merveille » : le merveilleux à l’épreuve de la réécriture dans le roman de Cristal et Clarie, roman en vers du XIIIe siècle (1267-1268).
Mühlethaler, Jean-Claude
Le roman de Cristal et Clarie est un roman anonyme de la fin du XIIIe siècle conservé dans un manuscrit unique. Ce mémoire propose d’aborder cette œuvre, dans son ensemble, au travers de la thématique du merveilleux. Une analyse détaillée de chaque épisode où le merveilleux intervient a permis de montrer un effacement de la topique merveilleuse qui provoque la mise en place de mécanismes nouveaux tels que la déconstruction, le détournement, le retardement de l’explication merveilleuse ou la tonalité ludique. Ainsi, cet effacement n’est pas le signe de la faillite de l’écriture mais celui d’une nouvelle poétique du merveilleux. Le roman de Cristal et Clarie présente une écriture plus elliptique qui repose sur l’intertextualité. Cette évolution est possible grâce à un ancrage certain du merveilleux dans la littérature médiévale où les motifs véhiculent au travers des textes et où la mémoire des œuvres antérieures joue un rôle important. L’intertextualité permet de comprendre l’incomplétude présentée par la topique merveilleuse.
« Je n’en feray que che que j’en ay empensé ! » Le nain Tronc dans Ysaÿe le Triste.
Mühlethaler, Jean-Claude
Ysaÿe le Triste raconte les aventures du héros éponyme, fils de Tristan et Yseut, et celles de leur petit-fils, Marc l’Essilié. Ce mémoire est une étude du personnage du nain, Tronc, fidèle serviteur des deux chevaliers, qui, sous son apparence misérable et hideuse, cache le roi de Féerie, le bel Aubéron. Personnage fascinant, Tronc oscille entre deux pôles, endroit et envers de la morale chrétienne, subtil mélange de sagesse et de machiavélisme démoniaque, de générosité et de cruauté. Trickster aux mille tours, il introduit la surprise, le décalage de tons dans la succession attendue des exploits chevaleresques et entraîne le récit sur des voies obliques : celles du burlesque et du fabliau, détours de la narration qui se multiplient de façon jubilatoire. Après avoir esquissé un portrait du nain, ce mémoire analyse les enjeux liés à sa présence aux côtés des chevaliers : gauchissements et renouvellements des motifs traditionnels, transformation de l’idéal chevaleresque, etc. La troisième partie questionne la relation privilégiée qu’entretient Tronc avec l’écriture du roman et offre un nouveau portrait du nain : Tronc le trickster, le créateur de fictions, le maître des mots et de l’illusion.
« Je ne peux vivre ni sans toi, ni avec toi » : Les figures féminines dans Moravagine et Dan Yack de Blaise Cendrars.
Cossy, Valérie et Le Quellec Cottier, Christine
Ce travail considère les figures féminines des romans dans leur rapport au(x) héros, et constitue une première approche du corpus romanesque cendrarsien avec une perspective de genre. Construites en figures d’altérité pour le(s) héros, c’est la féminité même de ces personnages qui est problématique. Elles représentent autant d’incarnations du principe féminin dans l’univers du héros, et autant de formes de la part du féminin interne au héros lui-même. L’aspiration à l’androgynie et l’exploration du motif androgyne vont constituer une réponse cendrarsienne à l’impasse de la différentiation sexuelle.
« Je riz en pleurs » Rire et pleurer dans l’oeuvre de François Villon.
Mühlethaler, Jean-Claude
L’œuvre de François Villon ne cesse d’intriguer ses lecteurs. L’examiner sous l’angle de deux réactions de l’homme, celles du rire et du pleurer, nous a semblé lui attribuer une certaine actualité. Quelle place occupent les rires et les larmes dans le Lais, le Testament et les Poésies diverses de Villon ? Telle était la question qui a guidé notre démarche. Mais accéder et comprendre les rires et les pleurs de l’univers villonien signifie dans un premier temps saisir le sens que le Moyen Age confère à ces deux phénomènes. En effet, inscrits dans l’anthropologie chrétienne de l’époque ils évoluent à travers le temps, subissent des répressions qui s’amenuisent progressivement dans le cas du rire, s’universalisent et deviennent publics dans le cas des larmes. L’analyse de l’oeuvre villonienne marque le second temps de notre recherche. L’auteur du Testament met en scène au niveau explicite du discours poétique les réactions du rire et du pleurer. Son œuvre est pourtant davantage l’espace de l’hilarité que celui des larmes. Rire comme expression de jouissance, rire moqueur et rire jaune, voilà les trois sortes du rire auxquelles l’instance poétique fait recours. Les larmes se laissent saisir à travers leur inscription dans le temps : les pleurs ont surgi dans le passé, inondent aujourd’hui le visage de la femme vieillissante, exprimeront demain la gratitude du sujet poétique gracié de la peine de mort. Or, c’est l’hémistiche « Je riz en pleurs » (Ballade du concours de Blois appelée également Ballade des contradictions, v. 6) qui cristallise, à notre sens, l’attitude du poète face aux deux phénomènes. Le rire comme expression de la jeunesse et de la vie coexiste à tout moment avec les pleurs liés à la vieillesse et à la mort. Pour l’instance poétique, l’hilarité est un moyen d’exorciser les petites et les grandes peurs de l’homme qui parcourt infatigablement de la naissance à la mort une « vallée des larmes ».
« Je vient par lat prézante... » : analyse textuelle d’un cahier (1928) de Jules Doudin.
Adam, Jean-Michel
Centré sur un « écrit brut », ce travail porte sur le bouleversement que subit la langue dans un cahier daté de 1928, écrit par Jules Doudin (1884-1946), interné à l’asile psychiatrique de Cery pour troubles mentaux à caractères psychotiques durant trente-cinq ans. Le premier objectif de ce travail était de faire passer un manuscrit difficile d’accès au statut de texte dactylographié aisément reproductible et analysable numériquement (Lexico 3). Conservé jusque-là dans les archives de la Collection de l’Art Brut de Lausanne, le cahier de 1928 trouve avec le présent travail une nouvelle existence et devient l’objet d’une première analyse. Dans une perspective d’analyse du discours et d’une problématique de mixité des genres, entre l’épistolaire et le journal intime, les textes du cahier sont étudiés sous différents angles : leur usage très particulier de l’orthographe du français, les restes d’un plan de texte épistolaire pour une première partie, ceux des actes de discours et de l’énonciation pour une seconde. C’est notamment à travers l’acte illocutoire de la demande d’un paquet qui revient dans le texte de manière obsessionnelle que nous percevons chez Doudin une volonté de faire (ré)agir le(s) potentiel(s) destinataire(s) de ses lettres et une écriture qui prend la forme d’un recueil composé, dans une entreprise de maintien en exercice de la langue.
« L’arrière dans le récit de guerre : l’évolution d’une représentation ».
Kaempfer, Jean
La représentation des civils subit une profonde évolution dans les trois grandes générations de textes ayant la Première Guerre Mondiale pour objet. Les récits-témoignages écrits par des combattants durant le conflit ou peu après livrent une réaction « à chaud » contre l’arrière, victimisant les soldats et niant les souffrances des civils, et divisent de la sorte la société en deux sphères, combattants contre non-combattants. Les romans publiés dans les années 30 bénéficient d’un certain recul, qui permet la décantation des souvenirs et des sentiments. La représentation des civils s’y fait donc à la fois plus nuancée, mais aussi plus extrême, car le temps permet aussi aux sentiments refoulés de se libérer. Ce n’est qu’à la fin du XXème siècle que se dessinera une véritable tendance à réhabiliter la population civile dans la littérature. Dans les textes parus à ce moment, les civils tentent à la fois de recueillir l’expérience de leurs proches qui ont combattu et de comprendre le conflit ; le dialogue est restauré, et une véritable coopération s’installe même entre civils et combattants, ce qui permet de combler, à la fin du XXème siècle, le fossé entre l’avant et l’arrière.
« L’oiseau peut-il chanter seulement la chanson qu’il connait […] ? » : analyse comparative des dialogues intertextuels dans La Belle au bois dormant de Charles Perrault et dans The Lady of the House of Love d'Angela Carter.
Heidmann, Ute
Cette étude met en lumière certains dialogues intertextuels engagés par « La Belle au bois dormant » de Charles Perrault et par « The Lady of the House of Love » d’Angela Carter. En s’appuyant sur la définition du dialogue intertextuel proposée par Ute Heidmann, elle analyse de quelle manière ces deux textes répondent à d’autres textes appartenant à différents horizons linguistiques et culturels. Cette étude montre les dialogues engagés par « La Belle au bois dormant » avec une version napolitaine du conte de Basile, avec l’histoire de Psyché selon Apulée et avec plusieurs textes de La Fontaine. Elle met également en évidence les dialogues engagés par « The Lady of the House of Love » avec le conte de Perrault, « The Fall of the House of Usher » d’Edgar Allan Poe et Dracula de Bram Stoker. Une fois ces différents dialogues intertextuels mis en lumière, elle compare de quelles manières et à quelles fins chaque texte recourt aux dialogues avec d’autres.
« Ne pas écrire etc. » : pratiques de la liste dans l’œuvre de Georges Perec.
Wyss, André
L’énumération est un trait stylistique saillant de l’œuvre de Georges Perec, et s’y manifeste fréquemment sous la forme listique. Mais le statut de la liste et sa lisibilité parfois problématique posent la question de son appartenance au champ littéraire. En parcourant le corpus selon les quatre axes de l’écriture de Perec définis par l’auteur (sociologique, autobiographique, oulipien, romanesque), ce travail se propose de montrer que la liste est indéniablement un objet littéraire et qu’elle ne peut être dissociée du reste de l’œuvre perecquienne, tant s’y retrouvent constamment les mêmes préoccupations, les mêmes thèmes, et des procédés d'écriture similaires. Ce mémoire cherche à dégager et étudier les multiples procédés de composition des listes et à rendre compte des effets contradictoires qu’elles peuvent produire sur le lecteur, tendues toujours entre vrai et faux, jeu et sérieux, lassitude et séduction.
« Nommer l’incognito : Gauvain dans Le Livre d’Artus ».
Mühlethaler, Jean-Claude
Le Livre d’Artus (après 1235) est une des Suites du Merlin en prose qui prétendent raconter rétrospectivement les débuts du règne d’Arthur. Notre travail part du constat suivant : Gauvain, personnage-clé de la cour arthurienne, est réputé depuis le Conte du Graal de Chrétien de Troyes pour ne jamais cacher son identité à qui la lui demande. Dans le Livre d’Artus, il refuse non seulement de la donner, mais se fait également passer pour un autre, usurpant à plusieurs reprises l’identité peu flatteuse de « Daguenet li Coars ». Par le biais de l’entrelacement et de l’omniprésence de Gauvain, l’incognito du personnage se retrouve au cœur du récit et des problématiques attachées à son pacte d’écriture. Le procédé permet au prosateur de mettre en avant l’importance de la renommée dans la société chevaleresque, de s’interroger sur le statut du nom propre, mais aussi de se positionner dans la réflexion qu’il mène sur la formation des stéréotypes arthuriens, d’asseoir son statut d’anticipation du Lancelot en prose, de développer une esthétique et une tonalité qui lui sont propres ainsi que de répondre aux ambitions totalisantes de la prose romanesque en convoquant un intertexte à la fois cyclique et propre aux romans en vers. Il répond aux ambitions totalisantes de la prose romanesque en convoquant un intertexte qui renvoie à la fois aux romans cycliques et aux récits en vers. A travers l’étude de l’incognito de Gauvain dans Le Livre d’Artus, ce mémoire offre au lecteur un accès à la vision d’une époque sur un personnage récurrent de l’univers arthurien et lui ouvre, en même temps, une porte vers un texte peu connu, mal édité et encore moins étudié, qui pourtant mérite à nos yeux d’être (re)découvert.
« Play It Again, René ! Ambivalences parodiques : la délicate négociation entre le Cœur et le corps dans le Livre du Cuer d’Amours espris de René d’Anjou.
Mühlethaler, Jean-Claude
À l’instar de nombreuses oeuvres du Moyen Âge finissant, le Livre du Cuer d’Amours espris de René d’Anjou (1457) se présente comme un texte à caractéristiques formelles hybrides, empruntant aussi bien au réservoir de la personnification allégorique, telle qu’elle fut popularisée par le Roman de la Rose, qu’à celui des romans arthuriens. Une partie récente de la critique a mis en lumière les aspects essentiellement ludiques d’une pareille circulation intertextuelle en plaçant l’emphase de l’analyse sur les indices de la prise de distance parodique de ce texte par rapport aux hypotextes dont il se nourrit. C’est sur ces recherches que le présent travail prend appui, dans sa volonté d’apporter de nouveaux éléments corroborant l’idée d’un dysfonctionnement, dans le Livre du Cuer, des idéaux courtois et chevaleresque. Les séquences étudiées offrent autant d’exemples de jeux parodiques avec des intertextes « sérieux », qu’ils soient biblique, moraliste ou d’inspiration héroïque. L’angle d’approche choisi pour scruter l’attitude parodique est le recours constant du narrateur à la matérialité (aspects corporels, nourriture, argent, etc.) en dissonance avec l’idéalité de la quête courtoise. Enfin, ce travail tente le pari de débusquer, dans l’examen des occurrences parodiques, une constante moins ludique et plus grave. On peut en effet dégager dans le roman les indices d’une séparation inquiétante entre signifiant et signifié, ainsi qu’un mouvement allant de la sauvagerie vers une civilisation excessive, dont le raffinement semble traité par une rhétorique du dégoût malgré le parti pris ludique de la narration. Une telle charge critique, bien que marginale et de caractère éminemment latent dans l’œuvre prise dans son ensemble, serait ainsi le reflet des préoccupations de l’auteur concernant la vie curiale de son époque et l’état de la courtoisie qui apparaissent, du moins à ses contemporains moralistes, comme le règne de la (fausse) semblance et la courtisanerie.